Les fèves de cacao

 

 

 

Sous le soleil les fèves de cacao qui sèchent sont comme des braises

et sur ces braises dansent les hommes, les retournant pour que le cacao devienne du cacao “ supérieur ” et non du “ good ” ou du “ moyen ”.

Jorge Amado, La Terre aux fruits d’or

Les graines contenues dans la cabosse étaient autrefois appelées « fèves du Mexique ». Syn : grains, graines. D’après certains, la formulation fève de cacao est réservée à la graine (ou fève fraîche) qui a subi les opérations la transformant en cacao marchand. Les Hispanisants désignent la fève par le mot almendra, et parfois par celui de semilla. La mise au jour de graines de cacao dans certains sites archéologiques précolombiens, notamment des tombes [Bats’ub Cave (Bélize), Uaxactún (Guatemala), Cerén (El Salvador)], a contribué à la connaissance du rôle du cacao dans les rites de passage (1).

(1) Keith M. Prufer et W. Jeffrey Hurst, Chocolate in the Underworld Space of Death : Cacao Seeds from an Early Classic Mortuary Cave [Bats’ub Cave], dans Ethnohistory, vol. 54, n°2, printemps 2007.

Vase anthropomorphe maya, Peten, Guatemala (céramique)

Museo Nacional de Arqueología y Etnología, Guatemala City

Ovoïde, allongée et aplatie, la fève de cacao est longue de 2 à 3 centimètres, large de 1,2 à 1,6 cm et épaisse de 0,7 à 1,2 cm. Elle se compose d’une amande (elle-même constituée de deux cotylédons plissés enserrant un « germe », ou embryon) et de la coque qui l’enveloppe, tégument brunâtre sec et friable, doublé intérieurement d’une fine pellicule blanchâtre. Pour reprendre la description des fèves de cacao donnée par Aimée Faichère (Culture pratique du cacaoyer et préparation du cacao, 1906) : « Lorsque l’on brise l’écorce de la cabosse on trouve, à l’intérieur, des graines noyées dans une pulpe [voir ce mot] rose ou blanchâtre, d’un goût agréable, très légèrement acidulé. Ces amandes sont composées par un embryon à cotylédons chiffonnés, repliés, dans lesquels se trouvent les principes auxquels le cacaoyer doit sa culture. La forme des graines est variable, tantôt elles sont franchement ovales et très bombées (cacao de Madagascar), tantôt elles sont très aplaties, presque triangulaires (Trinidad). Leur volume est aussi fort variable. Les fèves du cacao de Madagascar ont à peine 1 centimètre et demi à 2 centimètres de long, tandis que la longueur de celles de Surinam atteint, et dépasse, 2 centimètres et demi. L’enveloppe qui entoure l’embryon est rouge ; la couleur de l’amande varie du blanc presque pur (cacao de Madagascar) au violet foncé (cacao de Surinam et de Trinidad). »

La composition histologique de la fève se répartit en moyenne ainsi : cotylédons, 89 % ; coque, 10 % ; germe, 1 %. La fève contient de 40 à 50 % de parties butyreuses, appelées beurre de cacao (voir cette entrée). Mangée crue, cette fève est peu nourrissante et difficilement digeste. Son goût est amer et astringent — aussi peut-on s’étonner que, en 1875, dans son Manual of Diet in Health and Disease, Thomas King Chambers recommande aux diabétiques de mâcher des graines de cacao pour apaiser leur faim. En revanche, torréfiée, la fève devient très nutritive, et sur elle repose le chocolat.

Composition moyenne des fèves

 

                                                                   Avant fermentation  ……………………    Après fermentation

 

eau……………………………                                        36,6 %  …………………………………………   6,3 %

matières grasses………………                                   30,6 %  …………………………………………  52,1 %

albuminoïdes………………….                                     4,8 %  ………………………………………….   6,1 %

protéine et cellulose……………                                  6,3 %  …………………………………………    6,3 %

amidon…………………………                                       6,0 %  …………………………………………    6,8 %

théobromine……………………                                     0,9 %  …………………………………………    1,7 %

rouge de cacao…………………                                    1,5 %  …………………………………………    6,73 %

tanins, sucre……………………                                     6,0 %  …………………………………………     6,0 %

cendres…………………………                                       2,4 %   …………………………………………    1,8 %

Le traitement des fèves

 

Quels que soient les soins apportés à la plantation et les précautions prises au moment de la récolte, les fèves sont soumises à une préparation dont dépend, en grande partie, leur qualité. Une fois récoltées, les cabosses sont fendues pour en extraire les fèves. L’écabossage  peut être effectué dans les trois à quatre jours qui suivent la récolte. Puis, au plus tard 24 heures après cette opération, les fèves sont mises à fermenter. La fermentationa pour but de débarrasser les fèves de la pulpe molle, de goût amer, qui les enveloppe autant que de favoriser le développement de l’arôme caractéristique du cacao, par suite des transformations biologiques qu’elle entraîne. Parallèlement, elle donne aux fèves leur couleur brune spécifique. Toutefois, elle ne suffit pas à éliminer toute l’humidité contenue dans les fèves, laquelle doit tomber de 60 % à 8 %, voire même 5-6 %, à la fois pour prévenir une surfermentation indésirable et pour leur assurer une bonne conservation. D’où le séchage.

« On cueille ce fruit un peu vert, et lorsqu’on a tiré les amandes de leurs écosses, on les met sécher au Soleil sur des Nattes de Jonc pour les rendre propres au commerce ; car dans cet état elles se peuvent conserver pendant tout un siècle, et c’est pour cette raison, et à cause du grand usage que les Indiens en ont toujours fait, qu’elles leur servaient en place de monnaie [..] », écrivait Nicolas de Blégny, en 1687. Plus de trois siècles plus tard, le séchage se fait encore au soleil. Il consiste à étaler les fèves fermentées sur des claies, des nattes, des séchoirs en bois, des surfaces cimentées, de grands plateaux à rouleaux, etc., et à les laisser ainsi au soleil pendant huit à quinze jours. un remuage périodique vise à homogénéiser le séchage. Dans certaines plantations traditionnelles (à Trinidad, par exemple), des ouvriers, ou ouvrières, remuent encore les fèves avec leurs pieds nus — c’est ce que certains nomment « danse du cacao ». Pour préserver les fèves de la rosée nocturne, un toit toilé est parfois déroulé au-dessus du séchoir. Là où l’insolation est insuffisante, ou pour se prémunir contre l’excès d’humidité du climat tropical, on pratique le séchage artificiel dans des installations appropriées — les fèves sont soit placées au contact d’une paroi chaude, soit parcourues par un courant d’air chaud. pour être plus rapide, cette seconde formule a pour inconvénients d’être onéreuse et de ne pas donner d’aussi bons résultats que le séchage naturel, au soleil ; elle présente même le risque de conférer aux fèves un goût de fumée (lorsque celles-ci se trouvent au contact des gaz de combustion), ou de générer une croûte autour des fèves (lorsque le séchage est trop rapide) et, par là, d’empêcher l’humidité de s’en échapper. deux critères sont donc essentiels pour un séchage réussi : le temps et la température. le séchage est plus délicat qu’il n’y paraît. il doit être bien mené pour que le beurre contenu dans les fèves soit le moins acide possible. sans compter que, s’il est insuffisant, la partie sèche peut prendre un goût de moisi.

Enfin, les fèves sont prêtes à la commercialisation. Mises en sacs de jute, généralement de 65 kg en Afrique, ou en conteneurs aérés, elles sont acheminées vers la mer de mille et une façons, suivant les pays. Chars à bœufs, mulets, chemins de fer, camions…, voire par bateau sur les voies d’eau, comme au Brésil et en Equateur. Elles sont ensuite rapidement embarquées vers les principaux ports importateurs (New York, Londres, Amsterdam, Hambourg, Le Havre), car on tend à éviter leur stockage dans les zones chaudes et humides.

Il est importer de noter que si, longtemps, seuls les pays importateurs furent dotés de l’infrastructure permettant de transformer les fèves, certains pays producteurs ont, depuis les années 1970, intégré ce stade de la transformation, ce qui, pour constituer une valeur ajoutée, a boosté les ventes à l’exportation. Tel est le cas, notamment, de la Côte-d’Ivoire, du Cameroun, de l’Équateur et du Brésil — dans les années 1980, ce dernier pays prit la première place pour la pâte de cacao, le beurre de cacao et la poudre de cacao. Les installations nécessaires à cette transformation des fèves sont souvent financées par de grands couverturiers européens.

South America: Drying the cacao

illustration rxytaite de On the Banks of the Amazon 

par W H G Kingston (T Nelson, 1901).

La qualité des fèves

 

« Le bon cacao doit avoir la peau fort brune et assez unie, et, quand on l’a enlevée, l’amande doit se montrer pleine, lisse, de couleur de noisette, fort obscure au-dehors, un peu plus rougeâtre en dedans, d’un goût un peu amer mais agréable et astringent, elle ne doit pas sentir le vert ni le moisi ; en un mot, elle doit être sans odeur et non piquée des vers », écrivait E. Delcher en 1837. Les critères de qualité, pour varier selon les plants, n’en demeurent pas mois les mêmes pour l’essentiel, c’est-à-dire la « santé » des fèves et l’absence d’altérations. des altérations dont le XIXe siècle avait déjà décelé les causes : « la mauvaise qualité des amandes, le défaut de maturité, un excès de fermentation, un trop long séjour dans des magasins, une torréfaction mal dirigée, sont les principales causes d’altérations fréquentes, que le goût seul peut apprécier. mais il n’en est pas de même du fer et du cuivre qui peuvent se rencontrer dans le chocolat, et qui proviennent des outils employés à broyer les amandes. », lit-on dans le Magasin Pittoresque d’avril 1867. À la fin du XIXe siècle, les fèves étaient aussi considérées selon leur taille ; ainsi les divisait-on en quatre catégories, à chacune desquelles correspondait un type de chocolat : « 1° gros grains triés pour surchoix ; 2° gros grains non triés, pour le choix ; 3° petits grains, pour le chocolat ordinaire ; 4° germes, grabeaux et grains blancs provenant du triage, pour le chocolat commun. » (J. Barberet, Monographies professionnelles, 1887.)

Les nombreux abus pratiqués par certains producteurs de cacao quant à l’état des lots de fèves vendus ont fini par susciter la mise au point de critères rigoureux sur lesquels les planteurs sont désormais tenus d’aligner leur production négociable. Émanant de divers organismes, internationaux et nationaux, ces normes s’accordent pour garantir la qualité des fèves exportées. Lesquelles, obligatoirement soumises à fermentation, doivent être bien sèches, leur taux d’humidité ne pouvant excéder 7,5 %. Elles ne doivent porter aucune marque d’altération (moisissures, par exemple) et doivent être exemptes de tout corps étranger. En outre, elles ne doivent présenter aucune odeur anormale, telle que celles de moisi, de fumée ou d’insecticide. Pour compléter ces spécifications, la F.A.O. a établi un classement des lots selon leur pourcentage en fèves « moisies » (montrant, en coupe longitudinale, un développement de moisissures visibles à l’œil nu), fèves « ardoisées » (de texture compacte ou non, dont les cotylédons sont de couleur ardoisée sur la moitié ou plus de la surface de coupe longitudinale) et fèves « défectueuses ». Ces dernières peuvent être « plates » — elles sont réduites au seul tégument de la graine, les cotylédons sont absents ou fortement atrophiés —, « mitées » ou « charançonnées » — elles renferment des insectes (1) ou larves d’insectes ou présentent des traces de dommages dus à des insectes — ou « germées » — soit la radicule a percé le tégument, soit elles présentent un orifice dû au passage, puis à la chute de la radicule.

(1) Notamment l’Ephestia cautella et l’Ephestia elutella, ou « mites du cacao », qui causent des dégâts considérables. Les œufs, pondus sur les fèves ou sur les sacs, donnent des chenilles qui se nourrissent des fèves brisées et qui déprécient le cacao par leurs excréments et les toiles dont elles recouvrent la marchandise.

Ainsi le grade 1 désigne-t-il les lots homogènes tant par la couleur des fèves que par leur taille — ne sont pas autorisés plus de 10 % de fèves dont le poids diffère de plus d’un tiers, en plus ou en moins, du poids moyen de l’ensemble. Ces lots ne doivent pas compter plus de 3 % de fèves moisies, ni plus de 3 % de fèves ardoisées, ni plus de 3 % de fèves défectueuses. De qualité inférieure, les lots de grade 2 ne sont homogènes que par la couleur des fèves et ne doivent pas présenter plus de 4 % de fèves moisies, ni plus de 8 % de fèves ardoisées, ni plus de 6 % de fèves défectueuses. Enfin, le sous-grade réunit tous les cacaos inférieurs à ceux du grade 2. Seuls, les lots des grade 1 et 2 sont exportables. Le sous-grade est destiné principalement à l’approvisionnement des usines locales de transformation qui doivent l’acheter en priorité. L’évaluation du pourcentage de fèves moisies, ardoisées ou autrement défectueuses est effectuée par l’« épreuve à la coupe » (cut test) : un certain nombre de fèves issues de l’échantillon sont coupées en deux pour mettre à l’œil nu la surface maximale de l’amande décortiquée.

Légèrement plus tolérante que cette hiérarchie, à laquelle se sont ralliés plusieurs pays producteurs, la répartition en vigueur dans le commerce du cacao et reconnue par les principales associations de négoce (A.F.C.C., Association Française du Commerce des Cacaos ; C.A.L., The Cocoa Association of London ; C.M.A.A., The Cocoa Merchant’s Association of America) distingue les trois qualités suivantes :

  • good fermented, qui ne doit pas compter plus de 5 % de fèves ardoisées, ni plus de 5 % de fèves défectueuses ;
  • fair fermented, qui ne doit pas compter plus de 10 % de fèves ardoisées, ni plus de 10 % de fèves défectueuses ;
  • fair average quality, qui ne doit pas compter plus de 12 % de fèves ardoisées, ni plus de 12 % de fèves défectueuses.

L’Association Française du Commerce des Cacaos indique, en outre, que le nombre de fèves pour 100 g ne peut être supérieur à 100, avec possibilité d’une tolérance jusqu’à 120. Le contrôle consistant à vérifier le nombre de fèves a nom de grainage.

Grâce à ces exigences de qualité, les fabricants de chocolat ne sont plus confrontés aux problèmes d’antan, qui rendaient le traitement des fèves plus délicat qu’il n’est aujourd’hui : celui de l’humidité, génératrice de pertes à la torréfaction, et celui de l’homogénéité de taille, qui impliquait un réglage des machines extrêmement complexe et provoquait beaucoup de déchets. De plus, les contrôles ainsi exercés à l’exportation, puis dans le commerce des fèves jouent favorablement sur la qualité des produits.

Les défauts des fèves

 

  • Fèves ardoisées : fèves non fermentées, montrant des moisissures grises. C’est un des défauts majeurs du cacao marchand.
  • Fèves brûlées : fèves ayant subi un séchage accéléré provoqué par un feu placé sous l’aire de séchage.
  • Fèves défectueuses : fèves plates, mitées ou germées. C’est un des défauts majeurs du cacao marchand. 
  • Fèves germées : fèves relevant de l’appellation « fèves défectueuses ».
  • Fèves infectées : fèves présentant des atteintes d’insectes.
  • Fèves mitées : fèves relevant de l’appellation « fèves défectueuses ».
  • Fèves moisies : fèves dont le séchage a été perturbé par un contact avec de l’eau. C’est un des défauts majeurs du cacao marchand.
  • èves violettes : fèves dont la fermentation a été insuffisante.

Les fèves et les pesticides

 

Instaurée en janvier 2008 par la commission européenne et entrée en vigueur le 1er septembre 2008, une législation communautaire (149/2008/CEE) assure une harmonisation des limites maximales de résidus (LMR) de pesticides dans l’ensemble de l’Union Européenne. Elle s’applique aux aliments importés, parmi lesquels figurent les fèves de cacao. Selon la définition donnée dans ce règlement, les LMR correspondent à « la concentration maximale de résidus de pesticides (exprimée en milligrammes de résidu par kilogramme de denrée alimentaire/aliment pour animaux) autorisée dans ou sur les denrées alimentaires et les aliments pour animaux, après une utilisation des pesticides conforme aux bonnes pratiques agricoles (BPA) ». Pour les substances actives qui ne sont portées sur aucune des annexes des règlements de l’Union Européenne, une LMR de 0,01 mg/kg est normalement appliquée par défaut.

Les cargaisons de fèves de cacao à destination de l’Union Européenne doivent donc être conformes à cette législation. À cette fin, le secrétariat de l’I.C.C.O. a rédigé un Manuel sur l’utilisation sans risques de pesticides dans la production de cacao pour aider ses membres producteurs de cacao à respecter cette législation. Au regard de cette réglementation, des programmes ont été mis en place par certains États producteurs, conjointement avec des organismes internationaux, pour renforcer les mesures sanitaires et phytosanitaires et assurer une meilleure information des planteurs dans ce domaine. Ainsi, au Cameroun, pour mettre le cacao camerounais à l’abri des risques de refoulement sur le marché international, un Programme d’urgence pour la réduction des résidus de pesticides dans le cacao/café camerounais (Purrpcc), a été initié en 2008 par le ministère de l’Agriculture et du Développement rural, qui vise à accentuer les méthodes de sensibilisation et le suivi des planteurs.

En d'autres termes

 

  • écale. Enveloppe de la fève de cacao. Voir coque. Elle est de plus en plus utilisée en jardinage. Le paillage avec des matériaux organiques comme les écales de cacao et l’emploi de légumineuses comme couvre-sol — ce qui sert aussi à étouffer les adventices — permettent de conserver des sols fertiles et de bonne qualité. Les écales de cacao sont une excellente source d’éléments nutritifs, et leur compostage produit un engrais organique peu coûteux.
  • époudreuse. Machine utilisée pour le triage et initialement conçue d’après le principe des tarares agricoles. Syn : époudreur. Les fèves passent sur des cribles percés de trous de divers calibres ; un fort courant d’air généré par un ventilateur entraîne les poussières.