Allemagne
La Prusse ne partagea pas l’engouement des pays voisins pour le chocolat. Pourtant, dans les années 1640, un savant allemand, Johann Georg Volckamer, aurait apporté du chocolat qu’il avait acheté à la faveur d’un voyage à Naples et qu’il fit découvrir à quelques personnes de sa ville de Nuremberg. Comme dans les autres pays, ce sont ses vertus thérapeutiques qui furent d’abord prises en considération. Vendu par les apothicaires, le chocolat peina à se faire connaître. Une des premières occasions de le consommer d’une façon gourmande se présenta, semble-t-il, en 1673, dans un débit de boissons de Brême tenu par un Hollandais, Jan Jantz von Huesden, qui avait obtenu une licence de six mois pour proposer des boissons étrangères, tels le café et le chocolat. Ce dernier était, comme ailleurs en Europe, fort cher et donc réservé à la société fortunée, laquelle se montrait plutôt réservée. Pourtant, le chocolat avait des adeptes. L’un de ses plus ardents défenseurs, le Hollandais Cornelius Bontekoe (Alkmaar 1647 - Berlin 1685), médecin du Grand-Électeur Frédéric-Guillaume, écrivit, en 1685, un traité, Tractat van Kruyd, Thee, Coffe, Chocolate, qui lui était en partie consacré ; il y considérait l’usage du chocolat comme un moyen de rester en bonne santé. Son succès fut grand.
Il fallut, en fait, attendre des décennies avant que la résistance ne cédât à la gourmandise… Soucieux de freiner l’importation de produits étrangers, Frédéric ier de Prusse imposa, en 1704, une taxe sur ce breuvage. Puis, en 1747, Frédéric ii le Grand s’en prit au colportage, et le colportage du chocolat se trouva, de ce fait, interdit. En frappant le chocolat d’un impôt très lourd, il en fit, plus encore, un produit de luxe. Cela ne l’empêcha pas d’en apprécier la consommation, notamment avec son ami Voltaire. La boisson était très répandue dans la haute société de l’époque. Une gravure du peintre allemand Johann Elias Ridinger (1698-1767), Caffee imd Chocolata, atteste que le chocolat était entré dans les mœurs du XVIIIe siècle : devant une cheminée, un couple prend son petit déjeuner ; la femme boit du chocolat, et l’homme du café. Un autre témoignage de cet usage nous est fourni dans le pavillon de chasse de Falkenlust, véritable bijou de style rococo, édifié entre 1730 et 1737 dans le parc du château rhénan d’Augustusburg (Brühl, Rhénanie-du-Nord-Westphalie), pour le prince-électeur de Cologne, Clemens August von Wittelsbach, par François de Cuvilliés. Ce pavillon comporte, dans le trumeau d’une cheminée, un portrait de « l’électeur Clément-Auguste en négligé, vêtu d’une robe de chambre de soie bleu et blanc, couleurs de la Bavière, et tenant à la main une tasse de chocolat fumant. » (Louis Réau [1].) Ce portrait, signé par le peintre français Joseph Vivien (1654-1737), « est des plus beaux que j’aie vus, écrit avec une admiration naïve l’auteur d’un Voyage sur le Rhin : il égale à mon avis ceux de Van Dyck et de Rigaud ; fraîcheur de coloris, expression, vérité, vigueur du pinceau, tout y est réuni ; la fumée qui sort de la tasse est parfaitement rendue ; le prince semble respirer ; il ne manque à ce portrait que la parole... »
(1) L’Art Français sur le Rhin au xviiie siècle, Paris, Librairie Ancienne Honoré Champion, 1922. Certaines sources prétendent qu’il s’agit là de café, d’autres de thé vert. Or, la tasse-gobelet, avec sa soucoupe creuse, est caractéristique du chocolat.
(2) Cette confiserie-chocolaterie fut réputée pour ses compositions artistiques de Noël, en sucre, chocolat et massepain. Un café lui fut adjoint, probablement en 1812. Il allait devenir le rendez-vous des artistes et écrivains. L’écrivain Erick Kästner fit mention du « café Josty » dans son roman pour la jeunesse Émile et les détectives (1929). Situé en dernier lieu sur la Potsdamer Platz, vendu en 1900 et modernisé, le café fut fermé en 1930, et son bâtiment détruit en 1943.
En dépit du caractère élitiste du chocolat, des chocolateries virent le jour dans tout le pays. La première fabrique aurait été créée à Steinhude, en 1756, sous l’impulsion du prince Guillaume de Schaumburg-Lippe, qui, ayant apprécié le chocolat au Portugal, fit venir des portugais pour enseigner la façon de traiter les fèves de cacao et de les transformer en « quelque chose de mangeable ». Ainsi débuta l’histoire du chocolat en terre allemande. Les frères Johann et Daniel Josty, venus de Sils (Grisons, Suisse), fondèrent en 1796, à Berlin, avec d'autres confiseurs engadinois, la confiserie Zuckerbäckerei Johann Josty & Co. et implantèrent ainsi le chocolat suisse en Allemagne. Ils y jouirent d’une excellente réputation ; Heinrich Heine et Theodor Fontane firent l'éloge de leur maison (2). À la toute fin du XVIIIe siècle, il existait des manufactures de chocolat à Hanovre, Mayence, Munich, Cassel, etc.
Si, au XIXe siècle, les Berlinois, semble-t-il, n’en appréciaient guère le goût, en revanche, le chocolat « faisait fureur à Dresde et à Leipzig, où les glitterati de la ville prirent l’habitude d’en boire au café Felsche, l’un des premiers Schokoladestuben allemands », notent C. McFadden et C. France (Le grand Livre du Chocolat, 1998). L’établissement créé en 1821 à Leipzig par Wilhelm Felsche et qui fabriquait son propre chocolat fut dans les années 1830 le rendez-vous à la mode, où il était de bon ton d’aller converser autour d’une tasse de chocolat et de gâteaux. L’essor de la boisson bénéficiait alors de la réduction, voire de l’abolition, des taxes intervenue au début du xixe siècle dans la majeure partie du pays. De plus, les progrès technologiques allaient permettre le développement de la chocolaterie. L’Allemagne y prit part, notamment, avec la fabrique de matériel créée en 1834, à Dresde, par J. M. Lehmann et grâce à Heinrich Stollwerck (3), un des cinq fils de Franz Stollwerck (voir ce nom), qui s’avéra un talentueux inventeur et mit au point, pour la firme familiale Franz Stollwerck & Söhne, son propre équipement, dont une broyeuse (1873), faite de cinq cylindres en granite et dont la capacité s’élevait à 180 kg à l’heure — ce matériel innovant devait être commercialisé par la maison J. M. Lehmann.
(3) Il mourut en 1915 en faisant une chute dans un mélangeur de sa création.
À cette époque, Dresde (Saxe) était un haut lieu de la chocolaterie, et elle devait le rester pendant plusieurs décennies. Le firme Jordan & Timaeus y aurait été la première à fabriquer, en 1839, une tablette à base de cacao, de sucre et de lait de chèvre. Parmi les autres chocolateries de la ville : Petzold & Aulhorn (1843) et Riedel & Engelmann (Schwerter-Schokoladen). Un entrepreneur exceptionnel, Friedrich Anton Reiche, devait s’y imposer en créant la plus grande fabrique de moules d’Europe (voir moule). Enfin, c’est à Dresde que fut créée, en 1877, la Fédération des Chocolatiers Allemands, qui, outre sa mission de défense des intérêts de la profession, se dota de sa propre marque, à laquelle ses membres pouvaient accéder moyennant un contrôle de l’association. Aux alentours de 1880, il se fabriquait, dans cette seule localité, quelque 550 tonnes de chocolat par an, soit environ un tiers de la production globale du pays — la consommation per capita était alors de 60 g par an.
Cette prodigueuse évolution technique que connut le XIXe siècle suscita la création de manufactures dans toute l’Allemagne. Une des premières chocolateries à utiliser la vapeur fut J. F. Miethe, fondée en 1804 à Halle-sur- Saale (Saxe-Anhalt). Mentionnons aussi : Theodor Hildebrand und Sohn (1817), fondée à Berlin par Theodor Hildebrand et qui, aujourd’hui, appartient à Barry Callebaut ; Ludwig Schokolade GmbH & Co. (1857), qui vit le jour à l’initiative de Leonard Monheim dans une petite pharmacie d’Aachen et qui est aujourd’hui au sein du groupe Krüger ; Wagner Pralinen GmbH (1891, Brunsbüttel) ; Leysieffer, maison artisanale fondée en 1909 à Osnabrück (Basse-Saxe) ; Alfred Ritter GmbH & Co. KG (1912, auj. Waldenbuch) ; H. Schoppe & Schultz GmbH & Co. KG, créée en 1936 à Hambourg, transférée à Ratzeburg en 1967 et spécialisée dans les flocons de chocolat au lait et les boissons au cacao en poudre ; etc.
Le second conflit mondial apporta son lot de restrictions et de dommages. En 1942, plus de la moitié des chocolateries allemandes avaient cessé leur activité. Le secteur mit du temps à se relever. La crise provoquée par la chute des prix du cacao dans les seconde moitié des années 1960 se ressentit au niveau de la production chocolatière. Si celle-ci stagna longtemps, elle se mit à augmenter de façon notoire à partir de 1971. Produits fourrés, barres et tablettes commencèrent à prendre nettement le pas sur les bonbons de chocolat, d’un prix de revient élevé. Un avenir prometteur se dessina dès lors pour les produits fabriqués et empaquetés mécaniquement. Au cours de la dernière décennie du xxe siècle, les importations allemandes de cacao triplèrent largement. Aujourd’hui, l’Allemagne est, en Europe, le premier producteur et consommateur de chocolat. en 2003, le marché de la confiserie de chocolat, alors le deuxième d’europe, était dominé par les chocolats en boîtes (35,4 %) et les chocolats moulés (23,3 %). sa production fut, en 2 009, de 409 000 tonnes pour la confiserie de chocolat et de 252 000 tonnes pour les produits semi-finis de cacao et de chocolat (4). le pays exporte plus de 40 % de cette production. les chocolateries s’intéressent de plus en plus aux origines des cacaos qu’elles utilisent. en 2009, quatorze entreprises travaillaient les fèves de cacao, les autres confectionnant leurs chocolats à partir de produits semi-finis. La consommation per capita fut, en 2009, d’environ 9,18 kg. la tendance est au chocolat à forte teneur en cacao.
(4) Source : B.D.S.I. (Association des Industries Allemandes de la Confiserie et de la Chocolaterie), Bonn.
Parmi les chocolateries allemandes qui demeurent les plus connues : DreiMeister, fondée par un certain Schröder — d’où son autre nom de « café Schröder » — ; Feodora ; Hachez. À Leipzig, le chocolat chaud demeure la spécialité de la célèbre Kaffeehaus Riquet, qui trouve son origine dans une chocolaterie du XVIIIe siècle.
Créée par une association fondée en 1951 à Dortmund et composée de cent soixante-quatre entreprises, l’école Z. D. S. (zentralfachschule der deutschen süsswaren wirtschaft, « École Centrale Professionnelle Allemande des Produits Sucrés ») fut inaugurée à Solingen, en Rhénanie-Westphalie, en 1954. Son enseignement de l’industrie de la confiserie, de la chocolaterie et de la biscuiterie est réputé pour être l’un des meilleurs du monde.