Mars 2022

 

Nouvelle manière de composer du chocolat, plus sirnple & plus doux, pour les personnes délicates & pour tous ceux qui craignent d'en être échauffes.

Par M. Varnier, Docteur en Médecine, de l'Université de Montpellier, & Médecin de l'Hôpital de Vitry-le-François.

 

« Il y a longtemps qu'on fait du chocolat ; plus cet usage est ancien, plus il est répandu ; plus aussi auroit-on dû, ce semble , apporter de précautions pour bien composer le chocolat : mais il n'en est pas ainsi ; la manière dont on l'a d'abord fait n'étoit rien moins que parfaite ; & les fautes qu'on faisait alors dans sa composition, se font encore aujourd'hui.

La base commune du chocolat, c'est le cacao. Si l'on emploie celui des Isles, le gros carac, ou quelque autre espèce de cacao que ce puisse être, on procède de la même manière à la fabrication du chocolat. On commence par griller le cacao dans une poële de fer, jusqu'à en brunir ou rôtir l'écorce, pour la séparer plus aisérnent de la fève par un léger frottement avec la main, ou avec quelque instrument. Par cette opération, l'huile du cacao est trop brûlée, devient noire, empyreumatique & nuisible. Un peu d'attention suffiroit pour en être convaincu ; mais on ne veut pas faire cette attention ; & quand on la feroit, on ne chercheroit peut-être pas les moyens de parer à cet inconvénient dangereux. Un point essentiel, est de ne pas trop brûler la fève & de ne pas commencer par lui donner une mauvaise qualité. Avec quelque soin d'ailleurs qu'on fasse le chocolat, il est évident que cette manière seule de brûler le cacao, pour le dépouiller de son enveloppe, doit le rendre fort échauffant. Il cesse donc par-là même d'être une nourriture bonne pour les gens faibles, les convalescents, les valétudinaires, auxquels on la destine principalement.

Il y a quelque temps qu'on a annoncé un chocolat d'une nouvelle espèce, & qu'on a décoré du titre d'homogène, c'est-à-dire, de même nature. Que peut-il être, ce chocolat prétendu homogène, (supposë qu'on n'en veuille pas imposer au Public & le rendre la dupe de sa crédulité) sinon du cacao bien choisi, brûlé exactement, dépouillé de sa gousse, bien broyé sur la pierre chaude, & bien pétri, à la manière ordinaire, avec de la belle cassonade ou du sucre, sans cannelle ou autres bois aromatiques. C'est de la même façon qu'on fait aussi le chocolat de santé, ainsi qu'il plaît de le nommer ; comme si un peu de vanille, qui ôte au chocolat sa fadeur, pouvoit nuire à sa composition ; ce n'est ici, tout bien examiné, qu'une huile sébacée, fort épaisse ou d'une consistance solide, un peu âcre dans ce fruit, & fort douce quand elle en est séparée ; ce qu'on nomme beurre de cacao. La vanille, pourvu qu'elle soit mite en petite quantité, a un très bon effet ; elle soutient l'estomac, lui donne du ressort, lui fait digérer plus aisément la nourriture & rend le chocolat plus agréable à prendre. Le goût est ici un peu flatté, mais la santé n'en souffre pas.

Par la méthode qu'on fait ordinairement, l'huile de cacao devient nécessairement un peu empyreumatique & échauffe si fort certains estomacs qu'ils en ressentent subitement l'impression en prenant leur chocolat ; la plupart même des personnes qui en font usage, sont obligées de boire un verre d'eau après avoir pris leur tasse. Le chocolat qu'on pourroit appeler homogène seroit, avec plus de raison , cette pâte de cacao qui nous vient des Indes en gros morceaux & sans sucre. Si, dans les Indes, on ne fairoit pas rôtir le cacao, cette pâte seroit le meilleur chocolat & le plus simple que nous ayons.

On a annoncé un chocolat purgatif qui ne diffère pas, dit-on, du chocolat ordinaire & qui est aussi agréable. C'est-là une médecine qu'on peut bien assurer n'avoir été faite qu'en consultant ou flattant le goût du malade, ad agri palatum. Il n'y a que le julep qui puisse purger de cette manière & sans aucun mauvais goût, comme on le voit dans le pain d'épice purgatif : mais le julep ne convient pas à tout le monde ; & sur dix, il y en aura au moins un de fatigué & d'incommodé par ce remède : c'est un fait dont j'ai été moi-même témoin plusieurs fois ; j'en ai vu qui, pour avoir pris de ce pain d'épice, ont été saisis de coliques violentes, & d'autres à qui ce remède a occasionné un flux de sang.

On vient de publier dans une Feuille périodique un autre secret de la même espèce ; c'est un chocolat qu'on nomme aphrodisiaque, on a sans doute voulu dire anti-aphrodisiaque. Ce remède n'est autre chose qu'une pâte de prétendu chocolat, puisqu'il est fort dénaturé. Cette composition consiste en un extrait d'orge & du cacao, mêlés ensemble ; à quoi l'on ajoute du sublimé corrosif dissout dans de l'esprit de froment, & broyé avec du baume liquide du Pérou. L'odeur du baume n'est pas désagréable, mais je ne crois pas qu'il puisse être agréable au goût & mériter par-là le nom de chocolat. L'abus des termes va bien loin aujourd'hui ; mais tout cela ne fait pas changer la nature des choses. Rayons donc tous ces remèdes de la liste des chocolats avec lesquels ils n'ont, pour l'ordinaire, d'autre ressemblance que la couleur. D'ailleurs ils sont très difficiles à composer, & une erreur dans la dose peut tirer à conséquence.

Les différents chocolats ordinaires sont tous plus ou moins nuisibles, quand on en fait habituellement usage. J'ai déjà dit qu'on leur donne cette mauvaise qualité en faifant brûler les féves de cacao. Je substitue à la manipulation ordinaire du chocolat une autre façon de le faire, qui est simple & le rend très bienfaisant. Voici la manière donc je procède, elle est certainement utile, & c'est assez pour que je me garde bien d'en faire un secret.

Je ne fais point brûler le cacao ; je le mets dans une grande terrine & j'y verse dessus de l'eau bouillante en assez grande quantité pour qu'elle aille quelques pouces au-dessus du cacao. Je couvre bien ma terrine & laisse macérer le cacao jusqu'à ce que l'eau soit refroidie ; alors je verse le tout sur une claie & l'eau en sort toute chargée & trouble. Ces parties grossières, caustiques ou acides qu'elle emporte adoucissent beaucoup le cacao. Plusieurs personnes se mettent à enlever les cosses des fèves ; ce qui se fait aussi aisément qu'on pèle des amandes, après qu'elles ont trempé quelque temps dans de l'eau chaude. Lorsque le cacao est bien épluché, j'y verse encore dessus de l'eau froide, pour achever de l'adoucir, d'enlever les parties les plus crasses, & de le purifier. Je mets ensuite,. pour quatre livres de cacao, une demi-livre d'amandes douces qu'on a aussi dépouillées de leur enveloppe, après les avoir mises dans de l'eau bouillante. Ces amandes sont très bien, soit pour la confection de la pâte, soit pour rendre le chocolat plus doux, plus agréable & plus ami de l'estomac. On expose ce mélange au soleil, si la saison le permet, ou bien on le fait sécher au four pendant quelque temps & immédiatement après qu'on en a retiré le pain. Quand les parties aqueuses sont évaporées & que le cacao se trouve parfaitement sec, on le pile avec soin dans un mortier de fer qu'on fait chauffer auparavant. La pâte est bientôt faite ; les amandes douces y contribuent beaucoup par leur huile fluide qui divise celle du cacao.

Sur les quatre livres de pâte de cacao &  d'une demi-livre d'amandes douces, je ne mets que quatre livres de la plus belle cassonade, passée à un tamis fin. L'huile du cacao & des amandes font bientôt fondre la cassonade qui s'incorpore dans la pâte. Une attention qu'il faut toujours avoir, c'esr que la quantité de sucre n'excède & n'égale même pas celle du cacao & des amandes. Les personnes qui se connaissent à la fabrication du chocolat, ne manquent jamais de garder cette proportion. Quand la cassonade s'est bien amalgamée avec le cacao & les amandes, on broie le tout sur la pierre chaude & on le lie bien ensemble en se servant d'un rouleau de bois, à la manière ordinaire. On peut, lorsque la pâte est sur le point d'être faite, y ajouter deux clous de girofle, deux gros de vanille mise en poudre ; & une once de sucre, le tout bien pilé & passé au tamis de soie ; ce qui vous donnera une pâte parfaite. Lorsque celle-ci est au point qu'il faut, on la met dans des moules chauds &c.

Si l'on ne veut pas y mettre des aromates, on est parfaitement libre & le chocolat n'en sera pas moins bon ; il coûtera d'ailleurs un peu moins & épargnera quelque peine. On peut avoir de la poudre de girofle, de vanille & de sucre mêlés ensemble, comme je l'ai dit, & la conserver dans une bouteille neuve & où l'on n'a mis aucune liqueur. Quand on prépare le chocolat, on y jette une pincée de cette poudre qui produit à peu près le même effet que si elle avoit été mise dans la pâte. Si l'on n'avoit pas de cette poudre, on mettra dans la chocolatière un peu de vanille & un clou de gtrofle qu'on ôtera après avoir versé le chocolat dans la tasse. Tous ces moyens sont simples, on peut s'en servir, comme on le jugera à propos.

En donnant une nouvelle méthode, je dois prendre garde de ne pas induire en erreur ; & en faisant valoir les avantages de cette manipulation, il ne faut pas en dissimuler les inconvénients. Après cela, si l'on se trompe, ce ne sera pas à moi qu'on pourra s'en prendre. L'on doit avoir soin de faire sécher le mieux & le plutôt qu'il sera possible le cacao & les amandes douces. Quand ils seront bien secs, l'on ne tardera pas, non plus, à les piler & à les broyer sur la pierre chaude, comme c'est l'usage. On ne peut laisser les amandes & le cacao humides ou seulement en masse, pendant vingt-quatre heures, sans qu'ils fermentent, s'aigrissent & prennent un mauvais goût. Une précaution nécessaire est donc de les faire d'abord sécher, afin qu'ils n'aient plus que très peu de parties aqueuses. Après cela, le mortier chaud dans lequel on les pile, & la table de fer ou d'autre matière sur laquelle on les broie, dissipent le reSe d'humidité. Si l'on suit exactement les régies que j'ai prescrites, le chocolat sera parfaitement bien fait. On le mettra en tablettes, d'une once, d'un quart de livre, ou demi-livre, & même on pourra le laisser en morceaux d'un volume & d'un poids plus considérables. Après cela, on n'a plus besoin que de le tenir dans un endroit sec ; il s'y conservera, sans altération ; aussi longtemps qu'on le voudra. Les détails dans lesquels je viens d'entrer ne paroîtront sans doute suspects à personne, quand j'attesterai qu'ils portent tous sur l'expérience que j'en ai faite. Le chocolat qu'on prend chez moi est fait de la manière que je viens de dire, & c'est depuis longtemps que je suis cette méthode. On évite par là le grand inconvénient de brûler l'huile & le beurre du cacao ; ils ne perdent rien alors de leur qualité onctueuse & balsamique ; la chaleur de la table de fer ou d'écaille de mer n'est pas assez forte pour agir sur le cacao, comme le fait la poêle, & le brûler. Si l'on cherche à se procurer & à prendre du chocolat qui ne nuise pas à la santé & ne perde rien en même temps de sa délicatesse, on ne peut y mieux réussir que par la méthode indiquée. Elle n'est pas difficile, & procure de trop grands avantages pour qu'on refuse de l'adopter. Le Public pourroit-il être indifférent sur une nourriture qui porte préjudice à la santé, par la faute de ceux qui la préparent, & qui deviendra une nourriture saine quand on saura & qu'on voudra la préparer comme je l'ai dit ? »

 

Gazette du commerce, 5 avril 1774