Les ennemis du cacaoyer

 

 

Certains animaux en veulent au cacaoyer. C’est le cas des singes qui cueillent les cabosses mûres pour en sucer la pulpe sucrée (1) ; d’après D. H. Urquhart, ils causèrent d’énormes ravages en Sierra Leone et au Nigeria, notamment. La pulpe est une friandise qu’apprécient aussi les rats, qui, dans certains pays, constituent un véritable fléau — selon Jumelle (1900), c’est la principale cause qui a fait délaisser les cacaoyères aux Seychelles. Aux Antilles, la mangouste fut utilisée pour lutter contre cet animal, mais le procédé semble avoir été infructueux, la mangouste provoquant, elle aussi, des déprédations. Figurent aussi parmi ces gourmands (2), écureuils, antilopes, agoutis et oiseaux — les perroquets, surtout. À propos des perroquets, le phénomène est loin d’être nouveau. Le recueil de Henri Ternaux-Compans (1838) comporte un intéressant document relatif à la conquête du Mexique, soit une « Requête de plusieurs chefs indiens d’Atitlan (3) à Philippe II », qui expose au roi leurs divers griefs, parmi lesquels : « Il est vrai que nous autres, caciques et chefs, nous fûmes exemptés de tout tribut ; mais comme on nous avait laissés sans aucun esclave, nous avons perdu nos biens, et nos champs de cacao que les perroquets ont ravagés, parce que nous n’avions personne pour les garder, ce qui est cause que nous vivons tous dans la misère. » Plus près de nous, D. H. Urquhart indiquait en 1956 qu’en Nouvelle-Guinée et aux Nouvelles-Hébrides, les pertes dues aux perroquets pouvaient atteindre 25 %. Enfin, dans certaines contrées, le pivert est redouté, car, en effectuant des trous dans la cabosse pour en sucer la pulpe, il rend celle-ci accessible aux maladies fongiques.

(1) Des reliefs et peintures mayas, datés du classique tardif, associent à des cabosses des singes araignées ou des singes hurleurs, qui en consomment la pulpe et en disséminent les graines, contribuant ainsi à la propagation de l’arbre (Denver Art Museum, Princeton Art, Museum, etc.). Les mythologies maya et aztèque leur accordent, en fait, un rôle significatif dans le processus de création du monde.

(2) A  propos des animaux friands de fèves de cacao, Fray Bernardino de Sahagún rapporte qu’il existait une étrange animal dans l’amérique précolombienne, un quadrupède de taille supérieure à celle d’un bœuf. Ce hacaxolotl — tel était son nom — était particulièrement gourmand du fruit du cacaoyer. L’ayant remarqué, les Indiens instaurèrent une « cueillette » pour le moins surprenante ! Comme l’écrit Sahagún, la fiente de l’animal « renferme des graines de cacao sans être entamées. Il en lâche près d’une charge chaque fois. Les habitants suivent ses traces pour recueillir le cacao qu’il rend de cette manière. »

(3)  Sise au bord du lac du même nom, la ville de Santiago d’Atitlan fut soumise en 1524 par don Pedro d’Alvarado (d’après Jivarros, Histoire du Guatemala).

Contenant tripode avec singe et cabosses - céramique maya - 450–550 -  Petén, Guatemala 

- Los Angeles County Museum of Art

Les insectes n’en sont pas moins redoutés. Ils s’en prennent au cacaoyer en se nourrissant de sa sève ou de ses feuilles, en piquant ces dernières, en implantant leurs larves dans les tissus des tiges ou des jeunes fruits, en creusant des galeries dans le tronc ou dans les branches, etc. Il est important de les détecter au plus tôt afin d’employer le moyen le plus efficace pour enrayer les ravages. Souvent, des campagnes nationales de lutte durent être effectuées. Les insectes qui causent les plus graves dégâts, notamment en Afrique de l’Ouest, sont des hémiptères de la famille des Miridae, appelés « mirides du cacaoyer », « capsides » (de l’ancien nom de la famille, les Capsidae) ou « poux du cacao » (4). Parmi la quarantaine d’espèces qui s’attaquent au cacao, les deux les plus importantes sont Sahlbergella singularis Hagl. et Distantiella theobromae (Dist.), très présentes en Afrique de l’Ouest et qui provoquent 25 à 30 % de pertes de production — lors des années de pullulation, les pertes peuvent atteindre 75 %. Les espèces Helopeltis sont les plus répandues en Asie — l’Helopeltis antonii est bien connue à Java et au Sri Lanka, l’Helopeltis theobromae, en Malaisie, et les espèces Monalonion sont présentes en Amérique du Sud et Amérique Centrale. Les piqûres de ces insectes génèrent des moisissures qui tuent les jeunes pousses. Ils s’attaquent à tous les organes de la plante, mais surtout aux cabosses. Pour accélérer le suintement de la sève dont ils s’alimentent, ils sécrétent une salive toxique qui provoque sur chaque piqûre une tache nécrosée. « Ces insectes s’alimentent aux dépens des cabosses et des rameaux du cacaoyer. Les piqûres infligées aux rameaux provoquent la nécrose des tissus et des pertes importantes de feuillage qui se dessèche du fait de l’arrêt de l’approvisionnement des tissus en sève. En outre, les blessures évoluent en chancres sous l’action combinée de champignons parasites. Les chancres s’accumulent sur les branches des arbres et les fragilisent de manière irréversible à tel point qu’ils deviennent improductifs en quelques années et sont fréquemment envahis par des champignons parasites de faiblesse qui entraînent finalement leur mort (Williams, 1953a). », explique Régis Babin, du CIRAD. La lutte intégrée contre ces insectes comporte la création d’ombrage, l’entretien et la suppression des bourgeons des plantations et la maintenance d’un couvert végétal complet.

D’autres insectes sont redoutables. L’asserador de cacao (« scieur de cacao », Steirastoma depressa Fabr.), coléoptère très nuisible en Amérique, et le papillon ravageur, Conopomorpha cramerella, « foreur de cabosses » (Cocoa pod borer) causent des dégâts non négligeables. En provoquant des perforations dans le tissu placentaire et la coque du fruit, ce dernier, qui sévit dans la région Asie-Pacifique (Indonésie, Malaisie, Philippines et, plus récemment, Papouasie-Nouvelle-Guinée), génère le jaunissement ou le mûrissement prématuré du fruit et perturbe la croissance des fèves, qui restent petites et plates et, souvent se prennent en masse. En cas d’infection sérieuse, plus de la moitié de la récolte peut être perdue… Pour lutter contre le « foreur de cacao » (5), l’accent est mis sur une sélection de variétés résistantes grâce à la dureté de la paroi de leurs cabosses — le Comité du cacao de la Malaisie (MCB) et l’Institut du cacao et de la noix de coco (CCI) de la Papouasie-Nouvelle-Guinée s’y emploient. À la différence du foreur de cabosses, trois espèces d’insectes s’en prennent aux tiges et aux branches du cacaoyer, dans lesquelles elles creusent des galeries : l’Eulophonotus myrmeleon (Lepidoptera), répandu en Afrique de l’ouest ; le Zeuzera coffeae (Lepidoptera), qui se rencontre en Asie du Sud-Est et en Papouasie-Nouvelle-Guinée ; et certaines espèces Pantorhytes (Coleoptera), très présentes dans les îles de la Nouvelle-Guinée et les îles Salomon. Ces « foreurs de tige de cacaoyer » commettent d’importants dégâts. Tout comme, s’auutres insectes ravageurs, les thrips, larves des thysanoptères, qui parviennent, en période de sécheresse, à détruire, par des piqûres répétées, le feuillage de cacaoyères entières. En Amérique latine, certaines fourmis — notamment, la fourmi parasol des Antilles (ou palometo, Atta Cephalotes Fabr.) — découpent les feuilles et en entassent les fragments pour produire un compost dont les champignons les nourrissent. Elles sont, par ailleurs, de dangereux vecteurs de maladies.

Cocoa Capsid (Distantiella theobroma) - 1987

(4) Le terme « mirides » est plutôt utilisé en Amérique et en Asie, celui de « capsides » est courant en Afrique. Syn. en Malaisie : punaises de moustiques, punaises d’abeilles.

(5) Il est aussi désigné sous les noms de teigne de cacao, foreur ram-ram, teigne javanaise cacao, teigne javanaise du cacaoyer, etc.

Cocoa Weevil Borer

(Pantorhytes biplagiastus) - 1991