Le cacaoyer
Arbre nourricier, arbre miraculeux, arbre divin… Les Aztèques des temps précolombiens l’appelaient cacahuacuauhuitl (de cacahuatl, « cacao », et cuauhuitl, « arbre »). Plus tard, cet « arbre créé pour la délectation des dieux et des premiers fils du soleil. » (Raoul Lecoq) fut aussi baptisé « arbre à cacao » ou « palmier à cacao ». Mais c’est le naturaliste suédois Carl von Linné (1707-1778) qui, au XVIIIe siècle, lui attribua le nom savant de Theobroma Cacao L. (1), sublimant par là le cacao en « nourriture des dieux » (du grec theos, « dieu », et brôma, « aliment ») et rejoignant ainsi le mythe légendaire dans lequel s’inscrivent ses origines.
Les premières représentations que nous ayons, du cacaoyer et de ses fruits, remontent aux Mayas et figurent sur des codex et des vases funéraires. Le rôle du cacao dans cette civilisation y est bien indiqué, à travers images et glyphes. Mais l’arbre apparaît aussi sur des reliefs mayas. Ainsi une plaque en jade provenant de Chichén Itzá (Yucatán, Mexique) et datée de la période 750-900, montre un seigneur maya, debout sur un crabe renversé, et agrippé à un cacaoyer portant des cabosses. Plusieurs sculptures stylisées mises au jour sur les sites d’Amérique centrale, mayas ou autres, attestent l’omniprésence du cacaoyer dans ces contrées entre 200 et 1200 de notre ère. À El Tajín (Veracruz, Mexique), site anciennement occupé par les Totonaques dont il aurait été la capitale (600-1200), un relief de pierre de la Pirámide de los Nichos (« pyramide des Niches ») montre une cérémonie se déroulant devant un arbre à cacao (2) : un personnage assis au sommet d’une colline en attend un autre qui arrive en portant une sorte de torche.
Codex Tudela - 1553 -
Museo de America, Madrid
Une des fresques du Temple Rouge à Cacaxtla (Mexique) - Un dieu marchand (avec son chargement) [God L.] face à un cacaoyer - civilisation Olmèque-Xicallanca, ca 600-830 - dessin de Simon Martin à partir d'une photo d'Enrico Ferorelli dans M. E. Miller and S. Martin, 2004 : Figure 24.
C’est l’étude de Francisco Hernández (vers 1514 - 1580) [3], attaché comme médecin à la personne du roi Philippe ii d’Espagne, qui allait faire découvrir aux Européens les richesses naturelles de la Nouvelle-Espagne, parmi lesquelles le cacahuacuauhuitl ; des illustrations sont consacrées au cacaoyer et à ses cabosses — l’une d’elles montre un criollo. Au XVIIe siècle, une intéressante figuration gravée est également fournie dans un ouvrage du médecin néerlandais Cornelius Bontekoe : un Indien, assis sur le sol, tente d’allumer un feu selon l’usage d’alors ; à proximité, un cacaoyer portant des cabosses est ombragé par un arbre plus haut ; à l’arrière-plan des fèves sèchent, étalées sur un support plan. Les représentations se succédèrent ensuite au long du XVIIIe siècle, desquelles se détachent, notamment, celles de Pierre Sonnerat (1748-1814), naturaliste et dessinateur, qui explora la plupart des îles des mers de l’Inde et de la Chine (4) et introduisit aux îles de France (île Maurice) et Bourbon (La Réunion) le cacao qu’il avait rapporté de son voyage en Nouvelle-Guinée (5).
Le cacaoyer. Extrait de Historia del Mondo Nuovo de Girolamo Benzoni, 1563.
En matière de texte, plusieurs descriptions du cacaoyer furent données dès le XVIe siècle, plus ou moins précises, plus ou moins fantaisistes. Tel compare ses fruits à des « épis », tel autre à des « ananas » ou à des « petits melons ». Plus sérieusement, dans son Historia General y Natural de las Indias, gonzalo Fernández de Oviedo y Valdès (Séville, 1535) évoque l’arbre et sa culture de façon détaillée. À la même époque, Petrus Martyr de Angleria s’intéresse aussi, dans sa cinquième décade, à la manière de cultiver le cacaoyer : « On ne plante ces arbres que dans peu d’endroits, car ils ont besoin d’un climat à la fois chaud et humide, et d’un sol relativement fertile. […] On les plante sous l’abri d’un arbre, qui les protège des ardeurs du soleil ou contre les dangers du brouillard, de même qu’un enfant s’abrite dans le sein de sa nourrice. À peine le cacaoyer a-t-il commencé à grandir, à peine peut-il étendre ses racines, et, bien fortifié, jouir du bon air et des rayons du soleil, que l’on coupe et on arrache l’arbre nourricier. » À la toute fin du même siècle, John Gerard lui réserve quelques lignes dans son ouvrage de botanique (1597) [6]. Si, peu après, le botaniste Carolus Clusius (Charles de L’Écluse) [7] consacre une notice au cacao, fondée à la fois sur les fruits qu’il a pu examiner et sur les écrits de Girolamo Benzoni, mais ne s’attarde pas sur l’arbre dont il n’a pas pu se faire une idée, en revanche, Francisco Hernández, susnommé, a pu observer quatre espèces de cacaoyers, que les Méso-Américains appelaient cuauhcacahuatl, mecacahuatl, xochicacahuatl et tlalcacahuatl. « La première, dit-il [Hernández], est la plus grande de toutes et porte beaucoup de fruits ; la seconde, de moyenne grandeur, porte des feuilles et des fruits plus petits ; les fruits de la troisième espèce, plus petile encore que les autres, sont rouges en dehors ; enfin le mot qui désigne la quatrième espèce signifie “ petit arbre à cacao ”. La graine de cette dernière espèce, très petite, était autrefois plus généralement employée en breuvage, les autres servaient de monnaie », écrit Gallais (Monographie du cacao). Hernández évoque aussi le cuauhpatachtli, qui correspond au Theobroma bicolor (voir plus bas), utilisé comme arbre d’ombrage et dont les Indiens utilisaient parfois les graines pour contrefaire celles du cacao. En 1615, Juan de Torquemada décrit le cacaoyer et indique que cet arbre commence à produire au bout de trois ans (14, XIII), ce qui paraît surprenant pour un criollo, mais est tout à fait plausible dans le cas d’un forastero, et conforte l’intérêt des chercheurs actuels pour la diversité du cacao en Méso-Amérique. Une diversité qui transparaît à travers les observations, voire les imprécisions, des diverses sources dont nous disposons, d’Hernando de Alvarado Tezozómoc à De Quélus, qui a séjourné quinze ans « aux Isles de l’Amerique » au service du Roi, et qui, dans son Histoire naturelle du Cacao… (1719), fait part du résultat de ses observations et rectifie quelques erreurs qu’il a relevées dans les textes de ses prédécesseurs. Auréolé d’une réputation de compilateur souvent hâtif, Pierre-Joseph Buc’holz apporta sa contribution aux études du XVIIIe siècle avec sa Dissertation sur le cacao, sur sa cullture et sur les différentes préparations de Chocolat. Concernant le « Cacao, Cacaotier, Cacaoyer, Cacoyer », appelé « en anglois, Chocolate nut tree, &, trivialement, le Mets des Dieux », dont il donne une description approfondie de la culture, il recense les publications sur le sujet et les représentations iconographiques disponibles en son temps.
Toutefois, c’est surtout à partir du milieu du XIXe siècle que les scientifiques s’intéressèrent à l’arbre et tentèrent d’en préciser la provenance. Spontané ici, cultivé là… Sans doute n’était-il alors pas toujours aisé de vérifier la condition spontanée. Ce qu’en écrit Adolphe de Candolle dans son Origine des Plantes Cultivées (1883) montre la complexité de la question. Néanmoins, il en sort que « le cacaoyer ordinaire, Theobroma Cacao, est un petit arbre spontané dans les forêts du fleuve des Amazones, de l’Orénoque et de leurs affluents jusqu’à une élévation d’à peu près 400 mètres » et que « l’espèce était cultivée dans l’Amérique centrale et le Yucatán lors de la découverte de l’Amérique. » Selon Nisao Ogata (8), dans les années 1530, au regard des sources espagnoles dont nous disposons, le cacaoyer était cultivé là où les conditions environnementales le permettaient, soit du Michoacán au Nicaragua, à l’ouest, et de l’état de Veracruz au Honduras, à l’est. Même dans des zones qui s’y prêtaient peu, telle la péninsule du Yucatán, les Mayas avaient réussi à introduire cette culture, dont les hauts lieux étaient alors le Tabasco, le nord de la province de d’Oaxaca, le centre et le sud du Veracruz, le sud du Chiapas, la partie septentrionale du Guerrero, le sud-ouest du Guatemala et le Honduras. Cette géographie cacaoyère préhispanique confirme l’étude menée par John F. Bergman dans les années 1960. Selon ce chercheur de l’Université de l’Alberta (Edmonton, Canada), la culture indigène s’étendait entre les deux littoraux, Pacifique et caraïbéen, du Mexique central au Costa Rica, les zones de production les plus importantes étaient localisées dans les régions de langue maya, et un large commerce de cacao se développait dans les hautes terres du Mexique, de langue nahuatl — de grandes quantités de cacao y étaient importées des contrées de production méridionales. Mais, d’après René Millon (9), à l’arrivée des Espagnols, la production de cacao en Méso-Amérique ne dépassait pas 1 350 tonnes par an. Ce qui donne à croire que, dans aucune contrée de ce vaste territoire, le cacao ne constituait le fondement d’une économie monoculturale. Pas plus ne le devint-il après la Conquête, compte tenu de l’absence de XVIe siècle, la population indienne passa d’environ 4,5 millions en 1519 à 1 336 860 à la fin du siècle. Ainsi le peuplement du Soconusco se trouva-t-il réduit de 85 %, et son verger de cacaoyers quasiment abandonné…
(1) L’appellation apparaît dans son ouvrage Species plantarum (1753). Linné aurait-il eu en mémoire que, en 1684, « le médecin Bachot, président de la faculté de médecine, soutint à Paris une thèse où il avançait que “ le chocolat bien fait est une invention si noble qu’il devrait être la nourriture des Dieux, plutôt que le nectar ou l’ambroisie ”. » (Pierre Jean-Baptiste Le Grand d’Aussy, Histoire de la vie privée des François…) ?
(2) Conservé au Museo de Antropología de Xalapa (Xalapa, Veracruz) et daté de la période 800-1100, le Tablero del Árbol (1,30 x 1,36 m), qui a été surnommé El Árbol de la Vida (« L’Arbre de Vie »), témoigne de l’emploi du cacao et de son importance dans la culture d’El Tajín.
(3) Hernández fut envoyé par le roi aux Indes occidentales pour y étudier les productions de la nature (plantes, animaux, minéraux). Ses observations constituèrent un ouvrage posthume, De la naturaleça y virtudes de las arboles, plantas y animales de la nueva Espanna, en especial de la provincia de Mexico, de que se aprovecha la medicina (Mexico, 1615).
(4) Voyage aux Indes orientales et à la Chine, fait par ordre du roi, depuis 1774 jusqu’en 1781. À Paris, chez l’auteur, Froulé, Nyon, Barrois le jeune, 1782.
(5) Voyage à la Nouvelle Guinée, dans lequel on trouve la description des lieux, des observations physiques & morales, & des détails relatifs à l’histoire naturelle dans le règne animal & le règne végétal, Paris, Ruault, 1776.
(6) The herballe or Generall historie of plantes, Londres, John Norton, 1597.
(7) Exoticum libri decem, qui Animalium, Plantarum, aromatum, aliorumque peregrinirum fructum historiae describuntur, Amsterdam, 1605.
llustration extraite de On the Banks of the Amazon par W H G Kingston
(T Nelson, 1901)
(8) Domestication and Distribution of the Chocolate Tree (Theobroma cacao L.) in Mesoamerica, chapitre 23, dans The Lowland Maya Area, Three millenia at the human-wildland interface, A. Gómez-Pompa, M. F. Allen, S. L. Fedick, J. J. Jiménez-Osornio Editors, CRC PRess, 2003.
(9) When Money Grew on Trees : A Study of Cacao in Ancient Mesoamerica, Columbia University, 1955.
La distribution géographique des zones cacaoyères dans l’Amérique préhispanique est donc relativement bien connue. On sait maintenant qu’avant la Conquête, il n’existait de plantations de cacaoyers ni en Amérique du Sud, ni dans les Caraïbes — la première mention de cacao dans ces régions remonte à 1626 et concerne des cacaoyers sauvages dans la forêt humide de Zaragoza (Antioquia, Colombie). Toutefois, les recherches actuelles ne sont pas encore en mesure de répondre précisément à la question : comment le cacaoyer (Theobroma cacao) s’est-il propagé hors de son berceau originel amazonien ? Les animaux peuvent y avoir contribué, des graines peuvent avoir été acheminées par les voies d’eau, les hommes préhistoriques peuvent avoir manipulé les graines et les avoir disséminées lors de leurs déplacements… Rien ne permet de savoir, explique Allen M. Young (The Chocolate Tree…), si l’intervention a été naturelle ou humaine, de quelle manière elle s’est effectuée, ni quelles « routes » cette expansion a empruntées. Le mystère du voyage du cacaoyer dans le temps et dans l’espace n’est pas élucidé… Même s’il apparaît que les Indiens de la haute Amazonie commencèrent à récolter les cabosses des cacaoyers sauvages, il y a des milliers d’années, pour récupérer la pulpe, et non les graines, sans doute à l’imitation des animaux de la forêt humide qui en étaient friands.
Vase maya polychrome K631 - Guatemala, Petén, Motul de San José or vicinity, période classique tardive (750–850) - Los Angeles County Museum of Art
dans un palais de l'au-delà - naissance du premier cacaoyer (l'arbre primordial) à partir du corps d'un être surnaturel - à coté du cacaoyer le dieu K’awiil - une Indienne écrase des fàves sur un métate -à côté d'elle un récipient garni de tamales
Dessin de Simon Martin d'après une photographie de Justin Kerr.
L’arbre et sa culture
Le cacaoyer, espèce du genre Theobroma longtemps rattachée à la famille des Sterculiaceæ, est désormais considéré comme appartenant à la famille des Malvaceæ Juss (10) — sous-famille des Byttnerioideæ, tribu des Theobromateæ. Il est cultivé à proximité de l’équateur, dans une zone délimitée, au nord, par le Tropique du Cancer et, au sud, par le Tropique du Capricorne, entre 15° de latitude nord et 20° de latitude sud, même si on le trouve parfois dans des zones subtropicales (23° de latitude sud, comme dans l’État de São Paulo, au Brésil. La plus forte concentration de cacaoyers se situe dans une zone comprise entre 10° de latitude nord et 10° de latitude sud. Cet arbre se trouve le plus généralement au-dessous de 300 mètres d’altitude. Il est sensible à la nature des sols, qui ne doivent être ni trop secs, ni trop humides, et doivent parfois être soigneusement irrigués. Il a ses exigences climatiques : une température constante comprise entre 22 et 25 °C ; une pluviométrie annuelle oscillant entre 1 200 et 2 500 mm, bien répartie dans l’année, avec un minimum mensuel de 100 à 130 mm. Car le cacaoyer est fragile ; il ne supporte ni les vents trop forts, qui le déracinent facilement, ni les températures inférieures à 15 °C, ni la sécheresse.
Le cacaoyer est un arbuste forestier qui a évolué pour pousser à l’ombre. Son pire ennemi, quand il est jeune, est le soleil, qui dessèche le sol, à son pied. Les Amérindiens savaient déjà éviter ce risque. Le fait fut constaté dès le XVIe siècle par les voyageurs européens, tel le Milanais Girolamo Benzoni : « l’arbre […] n’est pas fort haut, & ne vient sinon en lieu chaud & ombrageux : de sorte que si le Soleil le touche tant soit peu, il le fait mourir. A raison de quoy ils le plantent ordinairement dans les bois en lieu humide : & craignans qu’il n’ait pas assez de cela, ils plantent encore tout aupres un autre arbre plus haut, pour le defendre du Soleil : & à mesure qu’ils les voient croistre, ils ageancent & plient tellement les plus hautes branches de cest autre arbre, que quand il est grand, il couvre le Cacavate, & par ce moyen ils se font ombre l’un a l’autre, de sorte que le Soleil ne leur peut faire mal » (Historia del mondo nuovo, 1575.) En 1690, Furetière indique dans son Dictionnaire Universel : « Cet arbre est fort faible & tendre : c’est pourquoy il a besoin d’un autre grand arbre qui soit tout proche de lui pour luy faire ombre, & qui s’appelle alignã, pour les Espagnols la madre del cacao. » De fait, en Espagne et en Amérique, on appelle ces arbres qui fournissent de l’ombre au cacaoyer madres del cacao (« mères du cacao »).
(10) Cette famille « renferme des végétaux nombreux, parmi lesquels se trouvent les plus gros arbres de la nature, le Baobab et le Bombax, tous les deux enfans de l’Afrique. Un très-grand nombre de plantes de cette famille sont inodores, fades, et possèdent un mucilage nutritif abondant, comme les mauves, la guimauve […] ; elles sont très-employées en médecine, l’étaient même comme aliment chez les anciens, et le sont encore chez les modernes […] ; d’autres, comme le Bombax et surtout les cotonniers, ont les semences entourées d’une bourre, qu’on en retire pour fabriquer des toiles de toutes espèces qui font la richesse des pays où ils croissent, et surtout de ceux où on fait ces tissus. L’écorce de plusieurs malvacées est susceptible de faire une espèce de chanvre, dont on peut fabriquer des cordes. Les semences de quelques autres sont huileuses, telles sont celles du cacao, Theobroma Cacao, L., dont on fait la composition si excellente, connue sous le nom de chocolat, en mêlant leur amande rôtie et réduite en pâte au sucre et à des aromates […]. » (F. V. Mérat et A. J. De Lens, Dictionnaire Universel de Matière Médicale…, 1832.)
Il reste d’usage de protéger le cacaoyer en plantant des arbres qui lui fournissent l’ombrage souhaité. Bananier, manioc, cotonnier, citronnier et capokier sont ses « protecteurs » favoris. Sans oublier les Erythrina, surnommés « Bois Immortel » en français, pourvus d’une large végétation, de croissance rapide. Anselme Payen notait déjà en 1859 : « Aux environs de Caracas, on forme des ombrages avec le bucare (erythrina umbrosa) ; pour composer ou compléter l’abri, souvent on environne le lieu de la plantation d’un triple ou quadruple rang de bananiers, et l’on en distribue d’autres rangées à des intervalles plus ou moins rapprochés dans la plantation même. C’est surtout trois mois avant la maturité des fruits du cacaoyer que l’on garnit le terrain de bananiers […]. » Lorsque le cacaoyer est adulte, son feuillage, qui peut fournir une ombre épaisse sur un cercle d’environ 6 mètres de diamètre, suffit à empêcher l’assèchement du sol, et on peut alors abattre les porteurs d’ombre. On considère, d’ailleurs, aujourd’hui, que la production est meilleure lorsque ce couvert n’existe pas — les arbustes sont plus productifs à court terme. Certains cacaoyers, particulièrement en Côte-d’Ivoire, sont cultivés en plein soleil. Toutefois, ce mode d’exploitation requiert des intrants bien plus élevés, parce que certains insectes nuisibles et certaines adventices se manifestent davantage en plein soleil et également parce que la production est plus faible à long terme. Il n’en demeure pas moins que le jeune cacaoyer a besoin d’ombre, et la disparition des forêts met aujourd’hui en danger sa pérennité génétique. Enfin, la nature du sol a, bien évidemment, son importance ; il doit être profond, très meuble et riche en matières organiques. Les terres d’alluvion lui conviennent donc parfaitement. Le mauvais rendement de nombreuses plantations vient, en grande partie, du fait que, par méconnaissance du problème, les planteurs se soucient peu, voire pas du tout, de remplacer les éléments nutritifs du sol qui ont été perdus.
L’arbre peut atteindre 10 à 15 mètres de haut. Cependant, l’homme le rabat régulièrement de façon qu’il ne mesure que de 6 à 8 mètres, cela à la fois pour lui donner plus de vigueur, pour le contraindre à se développer en largeur et pour faciliter la récolte. Son tronc, irrégulier et noueux, ne dépasse pas 30 centimètres de diamètre. Son écorce, relativement fine, arbore des reflets argentés sur fond brun et masque un bois rosé, de texture poreuse. Son feuillage est dense et continu, dans la mesure où, malgré la chute des feuilles, il en est toujours de nouvelles qui se développent. Oblongues et pointues, parfois un peu dentelées, les feuilles sont vert pâle ou rose pâle, selon les variétés, avant d’évoluer, avec l’âge, vers le brun violacé ou le vert foncé. Leur taille (20 à 30 cm de long, 7 à 12 cm de large) varie suivant qu’elles sont exposées à la lumière ou ombragées ; dans le premier cas, elles ont un long pétiole, sont plus petites, plus épaisses et tombent plus vite, alors que, dans le second, elle présentent un pétiole plus court, un limbe plus développé et vivent plus longtemps.
La plantation doit donc prendre en compte tous les critères de sol, climat, ombrage, etc. précédemment évoqués. Quant à l’espace à réserver entre les plants, il varie, d’après John Hinchley Hart, suivant la nature du sol et l’élévation au-dessus du niveau de la mer — le terme « altitude » serait inadéquat, car le cacaoyer pousse rarement au-dessus de 600-700 mètres, l’idéal étant entre 400 et 600, selon certains. Plus le niveau est haut et plus le sol est pauvre, explique Hart, plus les arbres doivent être plantés rapprochés, et vice versa. Enfin, l’appréciation et le savoir-faire du planteur jouent aussi un rôle important dans cette opération. Deux à trois ans après la plantation de l’arbre, son feuillage est rehaussé d’une multitude de minuscules fleurs (8 mm de diamètre), blanches ou légèrement rosées, inodores, réunies en petits bouquets à même le tronc et les grosses branches (jamais sur les rameaux jeunes). Un renflement, ou coussinet floral, indique la zone où une inflorescence va apparaître.. Jusqu’à 6 000 fleurs à la fois, quelque 50 000 à 100 000 fleurs par an ! Leur durée de vie est d’environ quarante-huit heures. Portées par un pédicule de 1 à 3 cm, les fleurs sont pourvues d’un pollen pâteux que le vent ne peut disperser et qui rend, de ce fait, la pollinisation difficile. Celle-ci, freinée aussi par la structure même de la fleur et par l’absence d’éléments attractifs (nectar, arôme), est généralement assurée par des moucherons, du genre Forcipomya. Particularité exceptionnelle : la floraison s’étale sur presque toute l’année, certaines époques lui étant particulièrement favorables, et, donc, « cohabite » avec le port des fruits. Ceux-ci, que l’on appelle cabosses, sont attachés au tronc et aux branches par un court pédoncule. La quantité des fruits ne correspond pas à celle des fleurs : sur 500 fleurs environ, une seule donne un fruit. Et, parmi tous les jeunes fruits, une grande partie (20 à 90 %) ne parvient pas à mûrir ; ce dessèchement des cherelles est la manifestation d’un mécanisme physiologique régulateur. Les cabosses mûrissent en quatre à cinq mois, sept au plus. La couleur, la taille et la forme de la cabosse varient suivant les variétés de cacaoyers. Le rendement moyen des plantations peut atteindre, voire dépasser, 3 000 kg/ha lorsque le cacaoyer bénéficie de conditions optimales et d’une culture soignée. Mais c’est rarement le cas. Le médiocre rendement observé dans certains pays s’explique généralement par le vieillissement du verger, le faible recours aux variétés améliorées et la quasi absence de prévention contre les attaques de bioagresseurs, qui, de ce fait, génèrent d’énormes pertes de production.
Une solution pour l’avenir : l’agroforesterie
Suivant la définition fournie par le centre de recherches World Agroforestry Centre (anc. International Council for Research in Agroforestry, ICRAF), créé en 1978 pour promouvoir la recherche agroforestière dans les pays en voie de développement et dont le siège est à Nairobi (Kenya), l’agroforesterie est « un système dynamique de gestion des ressources naturelles reposant sur des fondements écologiques, qui intègre des arbres dans les exploitations agricoles et le paysage rural, et permet ainsi de diversifier et de maintenir la production afin d'améliorer les conditions sociales, économiques et environnementales de l'ensemble des utilisateurs de la terre. » En fait, les pratiques agroforestières sont anciennes. La complémentarité des arbres et des cultures présente de nombreux avantages, parmi lesquels la lutte contre l’érosion, phénomène particulièrement redoutable en milieu tropical, la fertilisation du sol, la lutte contre la déforestation, la préservation de la biodiversité et la diversification des sources de revenus. Au regard du déplacement du front pionnier du cacao d’Amérique en Afrique, puis d’Afrique en Asie, et compte tenu que le cacaoyer s’accorde fort bien d’un ombrage, le système agroforestier apparaît comme une formule à privilégier. De nombreux organismes et ONG soutiennent cette pratique agro-écologique et s’efforcent de la développer.
La récolte du cacao
La récolte est effectuée à parfaite maturité. Précoce, elle réduit le rendement et donne une proportion excessive de fèves violettes ou ardoisées. Tardive, elle présente des risques de pourriture et de germination des fèves. Le bon moment s’apprécie à la fois à la couleur des cabosses — l’enveloppe passe du vert au jaune ou au rouge orangé suivant la variété — et au son mat qu’elles rendent lorsqu’on tape légèrement dessus avec le doigt — ce test est utile pour les fruits de couleur foncée, dont le changement de couleur n’est pas évident. la cabosse parvenue à maturité pèse de 400 à 600 grammes. Le cacaoyer donne généralement deux récoltes par an : la récolte principale et la récolte intermédiaire. Le « timing » dépend du pays, du climat et de la variété de cacaoyer. Si en Afrique, la récolte intermédiaire ne représente que 15 à 20 % de la production annuelle globale, ailleurs le différentiel est moindre.
Récolte principale Récolte intermédiaire
Brésil octobre-mars juin-septembre
Cameroun septembre-février mai-août
Colombie avril-juin octobre-décembre
Costa-Rica juillet-février mars-juin
Côte-d’Ivoire octobre-mars mai-août
République Démocratique
du Congo mars-septembre
République Dominicaine avril-juillet octobre-janvier
Équateur mars-juin décembre-janvier
Ghana septembre-mars mai-août
Grenade avril-novembre décembre-mars
Haïti mars-juin juillet-février
Indonésie septembre-décembre mars-juillet
Jamaïque décembre-mars avril-novembre
Liberia octobre-mars avril-septembre
Malaisie octobre-décembre avril-mai
Mexique octobre-février mars-août
Nigeria septembre-mars juin-août
Panama mars-juin juillet-février
Papouasie-Nouvelle-Guinée avril-juillet octobre-décembre
Sri Lanka novembre-février mars-octobre
Togo octobre-mars avril-septembre
Trinidad décembre-mars avril-novembre
Venezuela mars-septembre
[Source : ICCO.]
La cueillette intervient à intervalles réguliers de 10 à 21 jours au plus. les cabosses sont détachées de l’arbre à l’aide d’un couteau ou d’une machette bien affutés, pour celles qui sont à portée de main, et avec un outil tranchant emmanché au bout d’une longue perche, pour celles qui se trouvent haut placées. L’opération se fait précautionneusement, afin de ne pas entailler l’arbre (ce qui ouvrirait la voie à des parasites fongiques) et de ne pas endommager le coussinet fructifère. Les cabosses sont ensuite ouvertes, soit sur place dès la récolte, soit sur le lieu de traitement des fèves. Elles sont fendues dans le sens de la longueur au moyen d’un gros coupe-coupe. Certains procèdent perpendiculairement au grand axe en frapant les cabosses sur une pierre ou une bille en bois. Cette opération (écabossage) doit être effectuée dans les trois ou quatre jours suivant la récolte. Elle demeure manuelle, les divers essais de mécanisation s’étant révélés décevants — le rendement moyen par cueilleur est d’environ 1 500 cabosses par jour. Les fèves sont ensuite extraites et séparées de la pulpe avec deux doigts. Mais rien ne se perd… Si les fèves sont recherchées parce que, grâce à elles, le chocolat existe, dans certaines contrées, les fleurs de cacaoyer, séchées et moulues, servent à la confection d’une boisson traditionnelle, et la pulpe permet la préparation d’un vinaigre ou de boissons. Enfin, de plus en plus, les coques (voir ce mot) sont employées à divers usages.
Au début du XXIe siècle, le cacaoyer constitue une culture d’exportation vitale pour de nombreux pays, particulièrement en Afrique de l’Ouest, mais aussi en Amérique centrale et en Amérique du Sud. Il est en passe de le devenir pour certaines régions du sud et du sud-est asiatiques. Son évolution est considérable. Le décryptage du génome du Criollo « est un premier pas vers le développement de variétés de cacaoyers qui garderont à la fois la saveur du chocolat des origines et seront assez résistantes pour être cultivées dans de nombreux pays tropicaux » (Sciences et Avenir, n° 768, février 2011.)
Jean-Charles Develly (1783–1862) -service à café “Culture et Récolte du cacao” (partie) - porcelaine -
Manufacture de Sèvres - 1836 - The MET - New York