Haïti
Cet état des Antilles, qui occupe la partie occidentale de l’ancienne île d’Hispaniola, fournissait autrefois un cacao de grande qualité, très prisé à la cour de France et dans toute l’Europe. De fait, indigène dans l’île, le cacaoyer constitua, dès la Conquête, avec le sucre et les mines, la principale richesse de la colonie. Mais le sucre allait peu à peu gagner du terrain. Au début du XIXe siècle, si la production accusa une hausse — plus de 35 000 livres en 1810, 338 796 livres en 1826 —, le cacao n’en était pas moins délaissé. À partir de 1819, seulement une fois, en 1824, les exportations atteignirent 8 615 livres (1)]. C’est dire le déclin auquel était voué le cacao. Évoquant la population « plus farouche et plus vigoureuse » du nord du pays, au début du XXe siècle, Eugène Aubin mentionne le cacao, produit sur les contreforts des mornes (« montagnes », en Haïti), et, intéressant détail, sur le mode local de consommation, « Ces gens consomment eux-mêmes leur cacao, dont ils enveloppent la pâte, mélangée de sirop, dans une feuille de bananier. », écrit-il. En effet, il n’existait déjà plus de cacaoyères que dans le nord et à l’extrémité de la presqu’île méridionale, autour de Jérémie. La ville du Cap-Haïtien servait de débouché à tout le nord de l’île, dont elle exportait cacao, café, etc. Toutefois, ce cacao était, pour le moins, imparfait. « Le cacao Haïti est une sorte inférieure ; […] il n’est pas soigné ; les fèves sont petites, irrégulières d’une couleur grisâtre, il y en a de moisies et de piquées. », observait Léon Arnou, en 1905. À la même époque, tout en notant la qualité de la variété de cacao rencontrée en Haïti, Paul Zipperer stigmatise également la négligence des indigènes dans le traitement des graines, qui, après un transport en mer, parviennent altérées chez le manufacturier. Plus grave encore, il ne voit pas d’amélioration possible du fait de l’absence d’organisation dans les plantations. La production cacaoyère devait demeurer faible, oscillant entre 3 000 et 4 000 tonnes après la Seconde guerre mondiale. Dans les années 1960, un programme de réhabilitation de la cacaoculture fut initié par le gouvernement haïtien. Mais le résultat semble avoir été infime.
(1) Chiffres donnés par Charles Mackenzie, Notes on Haiti, made during a residence in that republic, Londres, H. Colburn and R. Bentley, 1830.
(2) Le cacao haïtien non fermenté est exporté à très bas prix aux États-Unis où, associé à d’autres origines, il entre dans la confection d’un chocolat bas de gamme.
Aujourd’hui, la filière cacao pourrait constituer l’une des filières porteuses du secteur agricole haïtien. Les cacaoyers sont des variétés anciennes, criollo et trinitario, réputées pour leur arôme et leur délicatesse. Bien travaillées après la récolte, les fèves peuvent fournir un cacao de grande qualité. Mais ce cacao n’est pas valorisé. Plusieurs problèmes se posent : le vieillissement des plantations, l’absence de fermentation [ce qui ne permet pas d’exporter le cacao vers l’Europe - (2)], l’insuffisance de structures des coopératives (ce qui ne leur permet pas d’organiser la commercialisation), la tendance de planteurs à se désintéresser du cacao en raison de prix très faibles — ils préfèrent se tourner vers des cultures à cycle court (maïs, pois, etc.). Dans le nord du pays, le cacao est, avec l’élevage, la principale source de revenus des familles paysannes. Cette région fournit 45 % de la production cacaoyère globale. Une organisation non gouvernementale locale, Service de Formation Action pour le Développement Économique et Social (SEFADES) a permis la consolidation de six coopératives régionales regroupées au sein de la Fédération des Coopératives Cacaoyères du Nord (FECCANO), qui rassemble quelque 2 500 membres et couvre les communes du département — Grande-Rivière du Nord, Milot, Acul du Nord, Le Borgne et Port-Margot. Les producteurs de la FECCANO pratiquent l’« agroforesterie ».
Le commerce équitable semble être la solution souhaitable pour enrayer la déforestation inquiétante et, donc, la dégradation de l’environnement : en effet, le seul combustible accessible étant le charbon de bois, les paysans en arrivent, dans les temps difficiles, à abattre les arbres qui protègent leur terre ; l’implantation de cacaoyers fournissant un cacao équitable préserverait l’environnement et fournirait aux planteurs un revenu garanti. Un premier pas a été fait dans ce sens. Suite au programme « Solidarités Agricole France Haïti », lancé en 2009 par le ministère français de l’Agriculture, et au partenariat initié entre producteurs et chocolatiers, du cacao haïtien a été exporté en France. La tablette proposée dès 2010 par les Chocolats de Bellevue, entreprise créée en 2009 à Meudon (Hauts-de-Seine), est estampillée « Haïti avec 75% de chocolat noir ». La même année, l’entreprise coopérative Éthiquable lança une tablette équitable-biologique « Grand Cru Cap Haïtien 72 % », fabriquée par la Chocolaterie du Pech (Le Pech, Yvelines).
Le séisme de 2010 n’a pas fortement affecté la production cacaoyère haïtienne, qui continue à souffrir de la perturbation des transports et des problèmes de commercialisation. En revanche, le cyclone de novembre 2010 fit de graves dégâts à la pointe de la presqu’île du Sud. La commune des Abricots (arrondissement de Jérémie, département de Grande-Anse) a obtenu, en 2011, une aide financière de l’Union Européenne pour relancer la cacaoculture. Cette région, où le cacao criollo fut introduit dès le XVIIIe siècle, s’est fixé plusieurs objectifs : une extension notable des surfaces cultivées, une augmentation de la production et une amélioration de la qualité en introduisant de nouvelles techniques de traitement des fèves.
Par ailleurs, Haïti compte très peu d’entreprises de transformation. Pourtant, c’est là un secteur qui, affirment certains, mériterait d’être développé. Créée en 2006, l’entreprise Les produits Souvenie, du nom de son créateur, utilise le cacao de la Grande-Anse pour la production de chocolat en bâtonnets et d’autres produits à base de cacao, tel le dous chokola, friandise haïtienne traditionnelle faite de sucre, de lait, de lait condensé sucré, de chocolat, de beurre, d’un zeste de lime et d’aromates (cannelle, badiane, noix de muscade, vanille)
Haïti : production de cacao
en milliers de tonnes
1893-94 1,000
1894-95 1,250
1895-96 1,680
1896-97 1,939
1897-98 1,621
1898-99 1,887
1899-1900 2,112
1900-01 1,950
1901-02 1,990
1902-03 2,175
1905-06 2,107
1906-07 2,350
1907-08 3,150
1960-61 2,500
1961-62 2,500
1962-63 2,800
1963-64 2,800
1964-65 3,000
1965-66 2,500
1966-67 2,700
1967-68 2,500
1968-69 2,700
1969-70 2,900
1970-71 3,100
1971-72 3,300
1972-73 3,500
1973-74 3,500
1974-75 3,000
1975-76 3,000
1976-77 3,000
1977-78 4,000
1978-79 4,000
1979-80 2,500
1980-81 3,000
1981-82 4,490
1982-83 4,600
1983-84 4,710
1984-85 5,055
1985-86 5,886
1986-87 5,189
1987-88 2,964
1988-89 5,000 1989-90 5,100
1990-91 3,000
1991-92 3,000
1992-93 5,000
1993-94 6,000
1994-95 6,500
1995-96 4,200
1996-97 3,654
1997-98 4,500
1998-99 2,740
1999-2000 4,500
2000-01 4,300
2001-02 4,950
2002-03 4,950
2003-04 4,800
2004-05 4,800
2005-06 6,000
2006-07 8,500
2007-08 8,000
2008-09 9,600
2009-10 10,379
2010-11 9,560
2011-12 ????
2012-13 ?????
[Source : FAO (1960-2013).]
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