Mars 2024

 

La fabrication du chocolat à la fin du XVIIIe siècle

 

« Comme la préparation du Chocolat intéresse la santé, & que trop souvent cet aliment, mal préparé ou falsifié, offre des différences qui en font proscrire l’usage, même dans les cas où il feroit le plus grand bien, nous avons cru devoir adopter & communiquer à nos Lecteurs un Procédé dont nous a fourni la Notice le M. Duthu, Md. Epicier - Droguiste, rue S. Denis, vis-à-vis Sainte-Opportune, à Paris, connu par l’excellente fabrication & k grand débit qu’il en fait. Il ne faut pas oublier que cette préparation, toute simple qu’elle est, exige des connaissances & des soins qui sont au- dessus de la portée de la majeure partie des Fabricans.

La bonté du Chocolat dépend du choix des matières & de la manipulation.

La majeure partie du Cacao du commerce est altérée ou mélangée ; le Cacao karak (sic) est la meilleure espèce, & en même temps la plus chère. Il faut que ce Cacao soit bien trié, parce qu’il contient beaucoup de grains avortés, cariés & rances. l On met son Cacao bien mondé dans une broche à brûler le café ; on l’expose à une douce chaleur pour qu'il ne se torréfie point. Lorsquz par une légère pression des doigts, l'enveloppe s'en détache, on le retire du feu, on l'écrase entre les doigts geain à grain, on le vanne & on l'épluche pour en ôter les grains douteux, les substances ligneuses & les autres corps étrangers qui échappent au premier triage.

Prenez six livres de Cacao ainsi préparé, pilez-le dans un mortier de fer assez chaud pour ramollir seulement le Cacao. Trop de chaleur en liquifieroit le beurre ; quand il sera réduit en pâte, ajoutez peu à peu, & en continuant de piler, cinq ivres de sucre. Dès que le mélange sera fait, portez la masse sur la pierre à chocolat, qui doit être placée dans une étuve dont la température soit de 25 à 30 degrés de Réaumur : on entretient la chaleur de la pierre avec une poêle garnie de cendres chaudes ; on broie peu à peu la pâte jusqu’à ce quelle soit devenue presque impalpable ; alors on aromatise le Chocolat suivant l'intention des Médecins & suivant la commodité des estomacs. Les aromates d‘usage sont la belle cannelle de Ceylan, & la Vanille dont les brins sont gros & bien nourris ; on pulvérise la Vanille avec trois ou quatre parties de sucre, & on ne l’ajoute, ainsi que la Cannelle, qu’à la fin de l’opération ; cinq gros & demi de Vanille sur les onze livres de pâte, font ce qu’on appelle Chocolat à demi-Vanillé ; onze gros sur la même quantité, font le Chocolat à une Vanille, &c. Un degré de chaleur trop considérable nuit singulièrement à la qualité du Chocolat ; mais en revanche il accélère fa préparation. Les ouvriers à la tâche ne manquent pas de se servir de ce moyen pour épargner leurs bras & leur temps. Cette manœuvre développe l’acide du beurre de Cacao, le dispose à rancir, & détruit en outre le mucilage de l’amande.

Les Fabricans ordinaires, qui ne voient pas ce qui se passe, corrigent l'âcreté & rendent le parfum à leur Chocolat avec des aromates tels que le Storax ; mais les connaisseurs distinguent bien l'odeur savoureuse du Chocolat bien fait, d’avec celui dont l’odeur est contrefaite. D’ailleurs ses propriétés sont totalement changées ; il faut donc que la masse soit sensiblement en équilibre de température avec l’étuve. Il faut aussi employer du sucre raffiné au lieu de cassonnade ; celle-ci, quelque belle quelle soit, contient toujours des substances terreuses malpropres qui détériorent le Chocolat. »

Mercure de France, 9 février 1788

Le chocolat aphrodisiaque

 

« Lettre de M. F. D. M. à G.

à M. Martin, apothicaire, rue Croix des Petits Champs, vis-à-vis celle du bouloir.

J'ai employé, Monsieur, les dix livres de Chocolat Aphrodisiaque que vous avez pris la peine de m’envoyer ; je vous en demande encore autant, ce qui vous prouve assez combien mes malades ont été contents de cette Préparation anti-vénérienne : mais ce serait peu, si je n'ajoutais que, loin d’avoir les désagréments d'un remède, il jouit de toutes les qualités d'un aliment agréable & salutaire. Combien les persomes qui répugnent aux remèdes, ne doivent-elles pas à M le Febvre de S. Idephont, qui a trouvé l’idée de cette manipulation ? Un Auteur mal intentionné sans doutte, avait inséré dans une Feuille, que ce Médecin s'était retiré en Province : mais à l'instant j'apprends de lui avec plaisir qu'il habite encore la Capitale ; quoiqu'il soit vrai qu’il doive exercer la Médecine à Versailles, cette dernière Ville, demeure des Rois, ne me paraît point devoir être distinguée de Paris, & être mite au rang des petites Villes. Au surplus, je crois que ce Médecin, avec les heureuses dispositions qu'on lui connaît, a tort de s’ensevelir dans la Province. »

Mercure de France, 1er novembre 1774

Un ouvrage sur le chocolat

 

Dans son Traité des Liqueurs, Esprits ou Essences, & la manière de s’en servir utilement (Louvain, 1728), François Guislier du Verger, Maître Distilllateur en Art de Chimie à Paris, établi à Bruxelles, évoque le chocolat (3e chapitre). Il indique « avoir longtemps observé les différents effets qu'il produit sur des sujets de différent tempérament, paraît embarrassé à prononcer sur l'usage qu’on en doit faire, chacun doit en cela se consulter lui-même. On peut cependant avancer & même soutenir que cette Liqueur convient, pour l'ordinaire, aux Vieillards & aux Gens d’étude. Nous devons aux Espagnols & aux Portugais, la première découverte de cette boisson ; ils trouvèrent dans les conquêtes- qu’ils firent en Amérique, certains Peuples barbares qui ne mangeaient d’autre pain que celui qu’ils faisaient avec le Cacao ; leur estomac ne pouvant se faire à une nourriture si grossière & si pesante, ils y ajoutèrent des Epiceries ; leur industrie enfin leur suggéra de faire avec ce même Cacao, un breuvage délicieux & nourrissanr, en y ajoutant le Sucre, l'Ambre, le Musc, le Baume du Pérou, & enfin la Vanille, la Canelle & le Gerofle : il finit cet article après avoir expliqué la manière de faire & de préparer le Chocolat, dont la meilleure composition consiste dans le choix des Drogues & dans une juste proportion des Aromates avec le Cacao. »

Mercure de France, 1er août 1728

Du chocolat empoisonné !

 

Frédéric II de Prusse n'aurait su se passer de chocolat ! 

« Ce Prince fut souvent en danger d'être empoisonné, & il ne fit jamais périr ceux qui attentèrent ainsi à sa vie. Un de ses Valets- dc-chambre forma un jour ce projet abominable. Ce malheureux porta un matin au Roi sa tasse de chocolat comme à l'ordinaire, mais lorsqu’il la lui présenta, Frédéric remarqua en lui un trouble extraordinaire. Qu’as-tu, lui dit-il en le regardant fixement, je crois que tu veux m’empoisonner ? A ce mot le trouble de ce scélérat augmente ; il se jette aux pieds du Monarque, lui avoue son crime & demande son pardon. Sors de ma présence, coquin, lui dit le Roi ; ce fut toute sa punition. Quelques-uns dirent cependant qu’il fut mis à Spandau. Depuis ce temps-là, Frédéric avant que de prendre son chocolat en donnait toujours un peu à ses chiens. » (Le Journal de Paris, 18 mars 1788)

 

— « L’épouse d’un Brigadier des armées avoit été accusée d’avoir tenté d’empoisonner son mari dans du chocolat ; sur les premières précomptions cette dame et 5 de ses domestiques furent arrêtés. D’après la procédure, S. M. a ordonné que le mari passe à Valence& que la femme reste au couvent de Pinto.  Si dans un an, son mari meurt, elle aura la tête tranchée ; dans le cas contraire,  l'un & l'autre auront la lierté de se réunir.  » (Mercure de France, 30 juin 1787)

Antoine Parmentier (1737-1813) et le chocolat

 

LETTRE de M. PARMENTIER aux Auteurs du Journal

 

« Permettez-moi, Messieurs, de dénoncer, dans vos Feuilles, le Chocolat. Je crois déjà entendre la plupart de vos Lecteurs réclamer en faveur de leur déjeuner habituel ; mais qu’ils se rassurent, ma dénonciation ne porte que sur l'ignorance ou l’infidélité de ceux qui le préparent. M. Baumé, dans ses Éléments de Pharmacie, & M. Demachy, dans son Art du Distillateur liquoriste, ont dévoilé une partie des abus qui se commettent dans ce genre de fabrication ; heureux si, en ajoutant quelques observations à celles qu’ont publié ces habiles Chimistes, je parviens à conserver au Chocolat la junte réputation qu’il mérite, & qu’il n’a perdue dans l’esprit de nombre de personnes que par les vices de sa préparation !

Une Dame étoit depuis quinze jours à l’usage du Chocolat, lorsqu’elle se plaignit à moi des effets qu’elle en éprouvait. Cette boisson lui réussissait habituellement. Je me crus fondé à soupçonner la qualité de son Chocolat. Je l’analysai, & j’y trouvai une matière  farineuse en assez grande abondance. Cette Dame changea de Chocolat, & bientôt le malaise, les pesanteurs, les aigreurs cessèrent, & l'estomac se rétablit ; en sorte que le moyen auquel elle devait être redevable de fa guérison serait peut-être devenu pour elle une cause de dépérissement.

J’ai saisi cette occasion pour vérifier d’autres Chocolats achetés chez différents Fabricants, j’en ai trouvé de parfaitement préparés : j’en ai trouvé aussi qui contenaient les uns de la farine de froment, les autres de la farine de riz : ces substances, dira-t-on, sont innocentes dans l’économie animale ; j’en conviens, mais dans les circonstances où le Chocolat est prescrit comme remède, elles ne peuvent devenir que très préjudiciables ; d’ailleurs pourquoi les y faire entrer, elles sont étrangères à sa composition ? ceci est applicable à toutes ces additions préconisées dans des avis que des Charlatans en ce genre distribuent, & qui ont trouvé même des approbateurs ; mais en supposant, ce qui n’est pas, qu'il soit nécessaire de rendre le Chocolat plus substantiel, ces additions doivent se faire avec connaissance de cause, & j’observerai que, si on croit devoir y ajouter des matières farineuses, ce doit toujours être dans l’état de fécule ou d’amidon qu’on doit les employer, parce qu’alors elles ne contiennent plus que le principe alimentaire par excellence.

Il y a encore d’autres fraudes plus nuisibles aux effets salutaires du Chocolat. Quelques Fabricants enlèvent au cacao son beurre , qui seul fait un objet de commerce, & le remplacent par des graisses animales, des jaunes d'œufs ; & d’autres y ajoutent des amandes grillées, de la gomme adragante, de la gomme arabique, &c.

Sans vouloir disculper ici les Fabricants de Chocolat des justes reproches qu’ils méritent, je remarquerai seulement que c’est le Public lui-même qui les a forcés d’y faire entrer des matières étrangères en s’obstinant à vouloir que cette boisson soit bien épaisse, fortement sucrée, & surtout à très bon compte ; or, le Chocolat ne pouvant réunir tous ces avantages, il a bien fallu les lui procurer par différents moyens qui détériorent d’autant ses vertus : ainsi le Chocolat le plus sucré, qui donne à l’eau beaucoup de consistance, & qu’on paye le meilleur marché, est certainement le mois abondant en cacao, & on peut le suspecter.

Mais, Messieurs, il ne suffit pas d’avoir indiqué les fraudes qu’on se permet dans la fabrication du Chocolat. Je n’aurais encore rempli que la moitié de mon objet, si je ne mettais le Public à portée de les distinguer, de manière à ne pas s’y méprendre.

Toutes les fois qu’un Chocolat répand dans la bouche un goût pâteux, qu’en le préparant il exhale au premier bouillon une odeur de colle, & qu’après son entier refroidissement, il se convertit en une espèce de gelée, on doit être assuré qu’il contient une matière farineuse d’autant plus abondante, que les effets énoncés seront plus marqués ; si le Chocolat dépose un sédiment terreux ou graveleux, c’est une preuve qu'on y a employé de la cassonade au lien de sucre ; l'odeur de fromage décèle la présence des graisses animales ; la rancidité, celle des semences émulsives, enfin le goût amer ou de moisi annonce que le cacao était trop vert, trop grillé ou gâté. En développant les abus qui se commettent dans le débit du Chocolat, je n’ai intention d’inculper qui que ce soit : il existe des hommes, que des sentiments honnêtes garantissent de tous les pièges tendus à leur droiture ; mais il est pénible qu’avec les motifs les plus purs, le Chocolat, sans rien contenir d’étranger, soit de mauvaise qualité, par la raison que les ingrédients auraient été mal choisis, ou que la préparation elle-même serait négligée dans quelques points. Cet article me paraît assez intéressant pour en faire le sujet d’une seconde lettre. »

Le Journal de Paris, 30 mars 1785

Seconde LETTRE de M. PARMENTIER aux Auteurs du Journal.

 

« Parmi les avantages réels, Messieurs, que la conquête du nouveau Continent a procurés à l'ancien, il faut compter le Chocolat : c'était de temps immémorial la boisson favorite des Mexicains. Ils lui attribuaient des propriétés merveilleuses : les Espagnols en crurent les indiens ; cette boisson fut d’abord entre leurs mains un secret, & ce n’est que longtemps après que les autres Nations de l'Europe parvinrent à découvrir que le cacao en était la baie ; le sucre, l'assaisonnement, la cannelle & la vanille, l'aromate : cette découverte est devenue ensuite le partage d’une foule de gens qui, à leur tour, en ont fait également mystère. Delà sont venus ces chocolats de Turin, d’Espagne, &c. qui, comparés à ceux que l’on prépare à Paris & dans les autres villes du Royaume, n’ont aucune supériorité ; & pourquoi ces contrées auraient-elles sur nous un pareil avantage ? ce qui entre dans la composition du chocolat n’y est pas plus cultivé que chez nous ; eux & nous le tirons des mêmes sources & avec autant de frais : d’ailleurs, à Turin & à Madrid, le chocolat de France jouit aussi d'une grande réputation, mais il est décidé dans tous les pays, que nul ne sera prophète dans le sien.

Tous les Médecins conviennent assez généralement que la boisson du chocolat est un aliment doux, léger & de facile digestion ; c’'est pour cela qu’on en recommande l'usage, particulièrement aux vieillards, aux convalescents & aux personnes délicates ; mais pour qu’elle opère constamment ces bons effets il faut que les ingrédients dont le chocolat est composé, soient parfaitement choisis, préparés & mêlés intimement pour en former une pâte fine &. uniforme. Arrêtons-nous d’abord au cacao.

On en distingue de plusieurs espèces dans le commerce : les plus usitées sont connues, l’une sous le nom de gros caraque, & l’autre sous celui de cacao des îles. Le bon chocolat doit être fait avec le car.aque & le cacao des îles dans des proportions déterminées par le prix qu’on veut y mettre.

Le choix du cacao ne suffit pas encore pour donner au chocolat la qualité qu’il doit avoir ; il faut le griller à une douce chaleur, le monder grain à grain pour en séparer l’écorce, le germe ou radicule & celles des amandes qui paraissent gâtées ; il faut que le cacao bien épluché & mondé soit broyé longtemps sur une pierre échauffée par degrés, & n’y ajouter le sucre que quand la pâte commence à se liquéfier : enfin l’aromate pulvérisé avec le sucre, on enveloppe le chocolat d’un papier, & on le conserve dans un endroit sec : l’hiver est la saison la plus favorable pour cette préparation.

Quand le chocolat ne contient que du cacao, du sucre & un peu de cannelle, on le nomme chocolat de sarté, & à une demie, à une, deux & trois vanilles, lorsque, dans une livre, il y a une demie, une, deux ou trois gousses de cet aromate.

On trouve quelquefois, dans le commerce, du chocolat dans lequel il n'entre pas de sucre ; c’et du cacao broyé seulement & mis en rouleau ; mais si le chocolat est réellement une espèce de savon, & qu’il faille, pour opérer cette combinaison, que la substance onctueuse du cacao soit unie intimement avec le sucre pour devenir ensuite miscible dans l’eau & dans l'estomac, elle ne saurait avoir lieu lorsqu’on ne met le sucre qu’instant où l’on prépare cette boisson : d'ailleurs, quoique le beurre de cacao ne contracte point de la rancidité avec autant de promptitude que les autres matières huileuses, ne serait-il pas à craindre qu’en éprouvant trop immédiatement l’action de la chaleur nécessaire pour broyer l’amande, elle ne perdît son caractère de douceur pour devenir âcre & réchauffante ?

Avec des organes exercés on peut aisément juger de la bonté du chocolat ; il ne doit présenter dans sa cassurc rien de graveleux ; en le goûtant il doit se fondre & répandre dans la bouche une espèce de fraîcheur, & ne prendre, quand on le cuit dans l’eau ou dans le lait, qu’une médiocre consistance.

Le chocolat n’est donc point une préparation indifférente : ce ne sont pas des lumières, mais de la probité qu’elle exige. Je ne saurais, en terminant cette Lettre, trop recommander aux Fabricants de chocolat, quels qu’ils soient, de laisser aux consommateur le soin d’y ajouter ce qui leur plaira quand ils voudront en augmenter l’efficacité ou l’agrément selon leurs idées. J’ai l’honneur d’être, &c. »

Le Journal de Paris, 3 avril 1785

« M. Parmentier a éclairé le Public par la voie de votre journal, sur la fabrication du Chocolat ; il a connu que cet alirment n'était souvent lourd & indigeste que par le mélange de farine de fécale & autres substances moins chères que celles qui entrent bars le chocolat. S'il est difficile aux particuliers de reconnaître de pareilles sophistications, il leur est aisé de n'avoir point à les redouter en ne s'approvisionnant que chez les Fabricants qui jouissent d une réputation bien méritée, & on en trouve sans les aller chercher en Espagne ni en Italie.

Cependant beaucoup de personnes tiennent à ce que leur chocolat soit préparé chez eux ; mais comme cette préparation exige des soins dont la plupart des ouvriers ambulants ne sont pas susceptibles, j'ai cru que vous accueilleriez quelques détails sur cet objet qui intéresse la santé.

La bonté du Chocolat dépend du choix des matières & de la manipulation.

La majeure partie du Cacao du commerce est altérée ou mélangée ; le Cacao karak est la meilleure espèce, & en même-temps le plus cher. Il faut que ce Cacao soit bien trié, parce qu'il contient beaucoup de grains avortés, cariés & rances.

On met son Cacao bien mondé dans une broche a brûler le Café ; on l’expose à une douce chaleur pour qu'il ne se torréfie point. Lorsque par une légère greffions des doigts l'enveloppe s'en détache on le retire du feu, on l'écrase entre les doigts grain à grain, on le vanne & on l’épluche pour en ôter les grains douteux, les substances ligneuses & les autres corps étrangers qui échappent au premier triage.

Prenez six livres de Cacao ainsi préparé ; pilez le dans un mortier de fer assez chaud pour ramollir seulement le Cacao. Trop de chaleur en liquéfierait le beurre ; quand il sera réduit en pâte ajoutez peu à peu, & en continuant de piler, cinq livres de sucre. Dès que le mélange sera fait portez la masse sur la pierre à chocolat, qui doit être placée dans une étuve dont la température soit de 25 à 30 degrés de R. ; on entretient la chaleur de la pierre avec une poêle garnie de cendres chaudes ; on broie peu à peu la pâte jusqu’à ce qu'elle soit devenue presque impalpable, alors on aromatise le chocolat suivant l'intention des Médecins & suivant la commodité des estomacs. Les aromates d’usage sont la belle cannelle de Ceylan & la vanille dont les brins sont gros & bien nourris ; on pulvérise la vanille avec trois ou quatre parties de sucre, & on ne l'ajoute, ainsi que la cannelle, qu’à la fin de l'opération ; cinq gros & demi de vanille sur les onze livres de pâte font ce qu’on appelle Chocolat à demi-vanille,  onze gros sur la même quantité font le Chocolat à une vanille, &c. &c. Un degré de chaleur trop considérable nuit singulièrement à la qualité du Chocolat, mais en revanche il accélère sa préparation. Les ouvriers à la tâche ne manquent pas de se servir de ce moyen pour épargner leurs bras & leur temps. Cette manœuvre développe l’acide du beurre de cacao, le dispose à rancir & détruit en outre le mucilage de l’amande.

Les Fabricants ordinaires qui ne volent pas ce qui se passe corrigent l’âcreté & rendent le parfum à leur Chocolat avec des aromates tels que le storax ; mais les Connaisseurs distinguent bien l’odeur savoureuse du Chocolat bien fait d’avec celui dont l’odeur est contrefaite. D’ailleurs ses propriétés sont totalement changées ; il faut donc que la masse soit sensiblement en équilibre de température avec l’étuve. Il faut aussi employer du sucre raffiné au lieu de cassonade ; celle-ci, quelque belle qu’elle soit, contient toujours des substances terreuses mal propres qui détériorent le Chocolat.

Signé H. DUTHU, Marchand Epicier &

Fabricant de Chocolat, rue St. Denis, près Sainte Opportune. »

Le Journal de Paris, 11 avril 1787