Martinique

 

 

Devenue colonie française en 1642, cette île de l’archipel des Petites Antilles produisit du cacao pendant plusieurs décennies, jusqu’à ce que la canne à sucre règne en monoculture sur son économie.

Selon M. Tussac, auteur d’une Flore des Antilles, on aurait découvert un cacaoyer en Martinique vers 1655. Quelques années plus tard, un négociant juif, Benjamin da Costa d’Andrade (1), établit la première cacaoyère, à partir de plants provenant du Venezuela [voir cacao (L’essor des plantations)]. À partir des années 1680, la production de cacao allait contribuer à l’essor de l’usage du chocolat dans l’Hexagone, tout en constituant une ressource appréciable pour les colons de Martinique qui n’avaient pas les moyens financiers de cultiver la canne à sucre et d’en extraire le sucre, et ce d’autant que le cacaoyer s’accommodait des vallées humides, difficiles d’accès, qui ne convenaient pas à la canne. La culture s’y développa rapidement, en 1717, grâce au gouverneur général Antoine d’Arcy de la Varenne, dont le séjour fut pourtant tumultueux et éphémère, mais qui exécuta les instructions royales que lui et l’Intendant De Ricouart avaient reçues — « Sa Majesté, disaient les instructions, pensait que rien n’était plus avantageux pour les colonies, que d’y établir toutes les différentes sortes de cultures que la terre y pouvait produire ; que depuis trente ans, cependant, que ces recommandations étaient faites, elles étaient restées inefficaces, et que chacun, aux colonies, n’avait d’autres vues que d’y construire une sucrerie, aussitôt qu’il en avait les moyens. Il paraissait donc nécessaire, à Sa Majesté, de défendre l’établissement de toute nouvelle sucrerie, et d’ordonner, à chaque habitant, de planter une certaine quantité de cacao, de coton et autres cultures. » (Sidney Daney.) [2] Toutefois, le tremblement de terre et le déchaînement climatique de 1727, caractérisé par la persistance des vents du nord, dévastèrent les plantations. Introduits depuis peu dans l’île, les caféiers remplacèrent les cacaoyers détruits. Des efforts furent faits pour restaurer la cacaoculture. Le roi exempta les planteurs de tous droits à partir de 1729. Cela ne fut pas vain. Comme l’explique Anselme Payen : « Une sage mesure, qui sans doute n’aurait pas moins d’opportunité aujourd’hui et qui aurait de plus larges conséquences, vint ranimer la culture des cacaoyers, encouragée par l’édit royal qui réduisait à 10 centimes par livre les droits d’entrée sur les produits de cette culture dans les colonies françaises. Dès l’année 1775, la Martinique exploitait 1,400,000 pieds de cacaoyers et pouvait suffire à la consommation de la France en réunissant ses produits à ceux de l’île de Saint-Domingue, dont les vallées chaudes et humides offraient un terrain des plus favorables à la production du cacao. » (Revue des Deux-Mondes, 1859.) Mais le cacao s’avérait moins rentable et plus difficile à commercialiser que le sucre. De plus, la canne était plus résistante aux ouragans. Aussi les planteurs délaissèrent peu à peu les cacaoyères. La canne à sucre se propagea. Autre facteur ayant contribué à cette désaffection, note Payen, « les soins insuffisants apportés à la récolte, à la préparation comme à la conservation et à l’expédition des produits, expliquent en grande partie la défaveur qui s’attache dans les transactions commerciales aux cacaos des îles. » Néanmoins, la Martinique exportait encore quelque 730 tonnes de cacao en 1900. L’éruption volcanique de 1902, qui détruisit une partie de l’île, vint dévaster les régions où se trouvaient les cacaoyères. Les exportations chutèrent à 334 tonnes en 1903, pour remonter à 470 tonnes en 1905.

(1) En 1685, les quatre-vingt seize Juifs vivant à la Martinique allaient être expulsés à la demande des Jésuites et selon le Code Noir — « Enjoignons à tous nos officiers de chasser hors de nos isles tous les Juifs qui y ont établi leur résidence, donc d’en sortir dans trois mois […] à peine de confiscation de corps et de biens ».

(2) Histoire de la Martinique : depuis la colonisation jusqu’en 1815, Fort-Royal, E. Ruelle, imprimeur du gouvernement, 1846.

La production de la Martinique a connu une décroissance constante jusqu’à disparaître des statistiques : 796 t (1895-1896), 850 t (1899-1900), 1 050 t (1902-1903), 100 t (1960-1961), 100 t (1964-1965), — t (1970-1971).

Le chocolat martiniquais

 

Le chocolat chaud participe à certaines occasions festives. Ina Césaire (1) garde en mémoire l’une des traditions liées à ce breuvage : « Les jours de communion solennelle, aucune table antillaise ne saurait se passer du chocolat dit précisément “ de première communion ” dont j’ai déjà évoqué le souvenir odorant, en mon plus jeune âge, dans la grisaille des banlieues parisiennes (2) Nous en apprécions aussi bien l’onctueuse consistance que la sombre couleur identique à celle du pain de cacao originel, et la saveur à la fois caramélisée et vanillée (non pas d’extraits aromatiques mais de gousses épaisses, gonflées par le soleil). Qui pourrait décrire les parfums exhalés par la marmite pleine de la mixture brûlante, rituellement mêlée à celui, non moins puissant, du “ pain au beurre ” torsadé, sorte de brioche dorée et croustillante qui est l’obligatoire accompagnement du chocolat dit “ de première communion ” ? » Le bâton de cacao sert à préparer cette délicieuse boissont chaude.

Aux Petites Antilles, le bâton de cacao (gwo kako) est confectionné à partir des fèves fermentées, séchées, puis torréfiées. Celles-ci sont broyées sans sucre, manuellement, le plus souvent dans un pilon. La masse obtenue, pâteuse et huileuse, est déposée sur un morceau de feuille de bananier, puis roulée et tassée à ses extrémités, de façon à lui donner la forme d’un cylindre. Le bâton est ensuite mis à sécher à l’air libre (mais pas au soleil). Une fois bien sec et emballé dans du papier, il se conserve jusqu’à deux ans, à l’abri de la chaleur et de l’humidité. Au moment de son utilisation, ce produit, « 100 % cacao » et qui contient environ 56 % de beurre de cacao, est râpé, puis fondu dans de l’eau ou du lait. Des épices viennent en rehausser la saveur. Certains y ajoutent du sucre. Le bâton de cacao sert aussi à préparer des punchs et la liqueur de cacao.

Une chocolaterie est indissociable de l’histoire cacaoyère de la Martinique : la chocolaterie Elot.

(1) Maman Flore, dans Nourritures d’enfance, 1992.

(2) Le souvenir évoqué est celui « d’un épais chocolat à la vanille, parfumé d’une insondable touche de citron vert » que lui prépara sa grand-mère Flore, avec du « pain au beurre », et qui la réveilla le dimanche de ses huit ans, « couchée dans la pièce géante chauffée par un unique poêle Godin ».