Etats-Unis

 

 

Le 13 au matin, avant de partir de Boston, je fus à cinq milles voir la petite ville de Miltown,

où il y a une papeterie assez considérable et deux moulins à chocolat.

La rivière qui les fait mouvoir forme au-dessus une espèce de cascade assez jolie.

La vue, du haut de la montagne du même nom, ne laisse pas que d’être belle.

Thomas Balch, Les Français en Amérique pendant la guerre de l’indépendance des États-Unis 1777-1783

L’Amérique ne fut gagnée au chocolat que tardivement. Fut-il introduit en Amérique du Nord à travers l’établissement espagnol de St. Augustine, en Floride ? Ou, paradoxalement, ce goût lui vint-il d’Europe, importé par les Hollandais, qui s’étaient implantés le long de l’Hudson, puis par les Anglais qui ne tardèrent pas à leur arracher cette partie de leur empire ? Sans doute les colons s’étaient-ils essayés à fabriquer eux-mêmes le breuvage dont l’Europe faisait alors grand cas. Néanmoins, la première fabrique américaine de cacao et de chocolat fut créée en 1765, dans le Massachussetts (Walter Baker & Co). Au milieu du XVIIIe siècle, les ports de Boston, de New York, de Philadelphie et de Newport recevaient la majeure partie des cargaisons de cacao provenant des Indes Occidentales. Le président des États-Unis Thomas Jefferson (1743-1826) pressentit l’avenir de ce nouveau produit : « la supériorité du chocolat, tant du point de vue de la santé que celui de l’apport nutritionnel, le fera rapidement préférer au thé et au café en Amérique, comme c’est déjà le cas en Espagne », devait-il déclarer (1). Certes, quelques firmes chocolatières virent le jour, dont l’entreprise créée, en 1842, à Philadelphie (Pennsylvanie) par Stephen F. Whitman ou celle fondée, au début des années 1850, par Henry-François Maillard, chocolatier-confiseur français établi à New York — ce dernier eut l’idée de créer une « école de chocolat » pour enseigner gracieusement aux ménagères la manière de confectionner la boisson (2). Mais les lourds droits perçus sur les importations de fèves de cacao faisaient du chocolat un produit de luxe, seulement accessible aux plus aisés. Leur abaissement, en 1853, changea le paysage chocolatier. Compte tenu d’un coût moindre de la matière première, mais aussi de sa proximité, les Américains comprirent vite l’intérêt de ce secteur.

(1) Cité par Christine McFadden et Christine France, Le grand Livre du Chocolat, 1998.

(2) Fils d’aubergistes, originaire de Mortagne-au-Perche (Orne), Maillard (1819-1900), mu par sa fibre affairiste, décida en 1848 de partir aux États-Unis. Il s’y établit à Broadway, s’y maria avec une strasbourgeoise, travailla dans le négoce de la pâtisserie-confiserie, puis créa sa propre entreprise et fit fortune — à telle enseigne qu’en 1863 il prêta 2,2 millions de francs son ami Aristide Boucicaut pour racheter les parts de son associé et devenir le seul propriétaire du Bon Marché, à Paris. Très tôt, il associa à sa confiserie-chocolaterie une activité d’entremetier-traiteur. Sa réputation s’étendit rapidement au-delà de New York. Il remporta une médaille d’or lors de l’exposition universelle de Paris en 1878. Son catalogue comptait quelque 3 000 articles. Lorsque Henry-François Maillard quitta, en 1891, la direction de son affaire américaine pour rentrer en France, son fils Henry Maillard Jr. et son neveu en reprirent les rênes. En 1908, la boutique et le restaurant, alors très à la mode, furent transférés en un lieu plus luxueux de la 5ème Avenue, puis, en 1922, dans Madison Avenue. On se pressait pour boire un chocolat chaud et déguster un sandwich chez Maillard’s. La dépression porta un dur coup à l’entreprise, qui, peu à peu, déclina. Le restaurant ferma en 1942. La fabrication de friandises cessa dans les années 1960. Le Museum of the City of New York possède une intéressante collection de photographies sur les activités de la fabrique en 1902, alors qu’elle se trouvait aux 116-118 West 25th Street.

La guerre de Sécession terminée, cette « industrie » prit son essor, sous l’impulsion de pionniers européens, comme les maisons suisses Cailler et Peter, qui, à la fin du XIXe siècle, firent découvrir aux Etats-Unis le chocolat en tablettes. À l’occasion de l’Exposition de Philadelphie, en 1876, le pays révéla, en quelque sorte, son talent chocolatier : « La dégustation des chocolats nous a prouvé que ce produit, bien fabriqué, n’est plus le privilège de la France. Nos goûts se sont exportés avec nos chocolats ; nos ouvriers sont partis avec nos machines, et nous avons rencontré cette même fabrication soignée dans les produits des États-Unis, de la Belgique et de la Suisse, qui compte aujourd’hui de grands établissements. »  (3) Si Domenico Ghirardelli et Etienne Guittard furent les premiers à instaurer cette activité en Californie, c’est Milton Snavely Hershey qui l’implanta en Pennsylvanie au tout début du XXe siècle et qui, lui conférant une aura comparable à celle que lui donna Émile Menier en France, devait dès lors s’identifier avec le chocolat américain. À l’instar d’Hershey, qui mit en avant les vertus nutritionnelles du chocolat, d’autres firmes privilégièrent son caractère d’aliment de santé. Par exemple : la chocolaterie Taylor Bros’, créée par les frères Taylor et réputée pour ses « hygiénistes naturels » (4). En 1894, Otto J. Scholenleber créa l’Ambrosia Chocolate Company à Milwaukee (Wisconsin) — plus tard, cette chocolaterie devait se spécialiser dans le chocolat destiné aux grandes compagnies comme Hostess, Pillsbury ou Nabisco. Dès 1913, cent-sept fabriques se partageaient une production déjà très importante. Parmi les firmes qui virent ensuite le jour : la Bloomer Chocolate Company (Chicago, Illinois, 1939), appelée à devenir le plus important fabricant commercial des Etats-Unis.

(3) Commentaire du rapporteur de la classe vi (agriculture), cité par Joseph Barberet, Monographies professionnelles, 1887.

(4) Évoquant les préoccupations sociales de cette chocolaterie, une affiche célébrant son Cocoa montre The village feast (« La fête du village ») : alignés sur un banc, le long d’un mur, des hommes âgés, barbus ou non, boivent une tasse de cacao que vient de leur servir une femme tenant un énorme broc de cette boisson fumante. Celle-ci est suivie d’un pasteur portant des gâteaux.

Au début du XXe siècle, les États-Unis étaient le plus gros consommateur de chocolat. De seulement 1 181 054 livres (soit environ 3-5 d’une once per capita) en 1860, la consommation s’était envolée à 93 956 721 livres (soit plus de 16 onces per capita) en 1908. D’évidence, l’Américain préférait de plus en plus boire du chocolat que du thé ou du café. Sans doute était-ce là le résultat de campagnes publicitaires mettant l’accent sur l’hygiène alimentaire et sur la valeur nutritionnelle du chocolat. En 1910, le pays importa plus de 115 millions de livres de fèves, soit presque un tiers de la production mondiale. Ces importations provenaient principalement des Antilles anglaises (Trinidad, notamment), du Brésil, des colonies portugaises, d’Équateur, de Saint-Domingue, du Venezuela, d’East Indies, de Cuba, de Guyane hollandaise, etc. Par ailleurs, ils importaient des produits finis (cacao et chocolat) d’Europe.

De la boisson à la confiserie, l’évolution se fit peu à peu. Dans son ouvrage Candy Cook Book (1917), Alice Bradley donna une soixantaine de recettes de « chocolats assortis », en précisant qu’« on trouve sur les tarifs de certains fabricants plus de cent chocolats différents ». La friandise entrait dans les mœurs… dans les années 1930, quelque 40 000 différentes sortes de produits chocolatiers étaient confectionnés aux États-Unis. comme lors de la grande guerre, le chocolat participa à la ration des soldats américains au cours du second conflit mondial. la quasi totalité du chocolat produit aux États-Unis revint alors à l’armée.

A gauche  - Abbot Academy students having hot chocolate at Intervale.

Ainsi l’histoire de la chocolaterie américaine est-elle celle de dynasties dont l’initiateur, souvent d’origine immigrée, a su, en partant d’une idée ou d’une recette, développer une entreprise performante, voire un empire, dont les rênes demeurent, dans de nombreux cas, entre les mains de la même famille — un tel relais, de génération en génération, est plutôt rare en Europe où cessions et rachats successifs ont brouillé la donne de départ. Sorties du génie créateur d’étonnants capitaines d’industrie, Hershey’s et Mars sont, sans conteste, les entreprises les plus significatives de cette évolution, à propos de laquelle il convient de remarquer que les grandes firmes américaines sont particulièrement réticentes à communiquer sur leur fonctionnement interne. Ces deux groupes — les Candy Kings, dit-on souvent — contrôlent aujourd’hui la majeure partie du marché de la confiserie-chocolaterie aux Etats-Unis, alors que quelque quatre cents petites ou moyennes entreprises luttent pour coexister. L’industrie est représentée dans trente-cinq états, majoritairement localisée dans l’Illinois, aux confins de Chicago, et dans le Nord-Est, en Pennsylvanie, dans le New Jersey et dans l’État de New York.

Les Etats-Unis constituent le plus grand marché du monde. En 2010, la fin annoncée de la crise économique relança la vente des friandises. En 2012, le pays fut le plus gros importateur de chocolat, devant la Russie, le Canada, l’Union Européenne et le Mexique — quelque 47 % de ses importation de cacao proviennent de Côte-d’Ivoire. Il fut, d’autre part, le deuxième exportateur de chocolat, derrière l’Union Européenne ; les principales destinations sont le Canada et le Mexique, qui fournissent aussi en confiserie de chocolat le marché américain.

Les dénominations

 

En 2007, la Chocolate Manufacturers Association, qui compte parmi ses membres Hershey’s, Nestlé et ADM, demanda à l’agence Food and Drug Administration (FDA, « « Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux ») (5) de modifier la définition légale du chocolat de façon à pouvoir substituer partiellement d’autres matières grasses végétales au beurre de cacao et à pouvoir utiliser des édulcorants de syntèse et des substituts de lait. Cet organisme fédéral maintint sa position. Il ne permet toujours pas d’appeler « chocolat » un produit qui contient l’un ou/et l’autre des ces ajouts.

Aujourd’hui, au regard de la législation américaine (Code of Federal Regulations, 21CFR163), les divers chocolats sont les suivants :

(5) Placée sous la tutelle du ministère fédéral de la Santé et des Services sociaux (U.S. Department of Health and Human Services), elle établit et veille à l’application des normes américaines ayant trait à la nature et la qualité des produits alimentaires, en vue de la protection de la santé et de la sécurité des consommateurs américains.

  • la chocolate liquor (« pâte de chocolat »), faite de pâte de chocolat, sans sucre. Elle ne contient pas moins de 50 %, ni plus de 60 % de beurre de cacao. Nomenclature : chocolate, unsweetened chocolate, bitter chocolate, baking chocolate, cooking chocolate, chocolate coating, unsweetened chocolate coating ;
  • le sweet chocolate, chocolat noir à croquer. Il ne comporte pas moins de 15 % de pâte de chocolat. Les bittersweet chocolate (« chocolat amer ») et semisweet chocolate (« chocolat demi-doux ») ne comportent pas moins de 35 % de pâte de chocolat. Nomenclature : sweet chocolate coating, semisweet chocolate coating, bittersweet chocolate coating ;
  • le sweet dark chocolate (« chocolat doux sombre »), contenant 15 à 35 % de pâte de chocolat et moins de 12 % matières laitières solides. Il peut aussi comporter des ingrédients comme lait condensé, beurre de cacao, sucre ou vanille ;
  • le milk chocolate (« chocolat au lait »), composé de pâte de chocolat, beurre de cacao, lait, sucre et parfums. Il ne contient pas moins de 10 % de pâte de chocolat, pas moins de 3,9 % de matière grasse laitière et pas moins de 12 % de lait entier. Cela vaut aussi pour la milk chocolate coating ;
  • le Dutched chocolate, ou Dutch chocolate, fait de pâte de chocolat (voir Ghirardelli) ou de cacao en poudre ayant été traité avec des sels alcalins pour lui conférer une couleur plus sombre et une saveur plus douce. La dénomination vient du nom du procédé de Van Houten , dit Dutching ;
  • le white chocolate (« chocolat blanc »), composé de beurre de cacao, lait, sucre et parfums. Il ne contient pas moins de 20 % de beurre de cacao, pas moins de 3,5 % de matière grasse laitière et pas mois de 14 % de matières solides de lait. Cela vaut aussi pour la white chocolate coating.

Il est intéressant de noter que les emballages des produits de chocolaterie sont riches en informations sur les composants. Rien n’échappe au descriptif. Qui plus est, les apports nutritionnels sont précisément mentionnés.

Enfin, en matière d’importation, à l’instar du Roquefort ou du foie gras, le chocolat fourré fait partie des produits qui ont été frappés de droits de douanes de 100 %, dans le cadre des mesures de rétorsion prises par les États-Unis à la suite du différend avec l’Union Européenne sur le bœuf aux hormones.

Des goûts et des couleurs

 

Plus de 70 % de la confiserie américaine concernent les articles à base de chocolat. Au premier rang mondial pour la production de produits finis, les États-Unis n’occupent qu’une place assez lointaine en matière de consommation. La faveur des Américains va au chocolat noir. Ils l’aiment garni d’amandes ou de cacahuètes — les chocolatiers américains utilisent 40 % des amandes et 25% des cacahuètes produites aux États-Unis. Le chocolat au lait, surtout destiné aux enfants, ne concerne que 10 % environ de la consommation — pourtant, les membres de la Chocolate Manufacturers Association emploient quotidiennement environ 1,8 millions de livres américaines de lait entier. Le praliné en intérieur n’a guère de succès. Si les chocolats à la liqueur sont encore interdits dans de nombreux États, en revanche, le mariage chocolat-piment est très apprécié, qui se traduit le plus souvent par des coques de chocolat, au lait ou blanc, fourrées d’une crème au piment. Venues d’Europe, les truffes, ici moulées dans une coquille ronde et formées d’un intérieur frais, connaissent une grande faveur. Mais l’essentiel de la production est constitué par la confiserie industrielle à la pièce, au sein de laquelle les candy bars (« barres ») occupent une place importante — quelque 37 %. Sous couverture de chocolat, le fourrage est fait de fudge, de beurre de cacahuètes, de nougat, de pâte caramélisée, etc. La barre est particulièrement à l’honneur lors des fêtes, notamment pour Noël et au moment d’Halloween, ce 31 octobre où il s’en consomme quelque 8 millions en un seul jour. Cette friandise a connu aux Etats-Unis une vogue sans faille depuis son lancement par Frank C. Mars, à Tacoma, dans l’état de Washington, en 1911 et cela au point d’en faire oublier un peu les autres facettes de la chocolaterie.

Avec le chocolat, les Américains découvrirent une boisson chaude nutritive, dont ils ne modifièrent pas la recette européenne. Quelques ouvrages de l’époque en livrent la formule. Par exemple, dès 1832, dans The American Frugal Housewife, Lydia M. Child indique comment confectionner le chocolate cream. « Les Américains préparent leur pâte de cacao sans sucre. Lorsqu’ils veulent prendre du chocolat, ils font apporter de l’eau bouillante : chacun râpe dans sa tasse la quantité qu’il veut de cacao, verse l’eau chaude dessus, et ajoute le sucre et les aromates comme il juge convenable. Cette méthode ne convient ni à nos mœurs, ni à nos goûts ; et nous voulons que le chocolat nous arrive tout préparé. », lit-on dans le Dictionnaire Général de la cuisine française ancienne et moderne… (1853). En fait, la consommation domestique ne prit son essor qu’à la fin du XIXe siècle. Évaluée à 1,181,054 livres en 1860, elle atteignit 93,956,721 livres en 1908 — soit plus de 16 onces par habitant. Un essor qui l’emporta de beaucoup sur celui du thé et du café ! Les vertus prêtées à ce breuvage ne furent, semble-t-il, pas étrangères à cet engouement. Aujourd’hui, le chocolat chaud reste, dans certaines contrées, la boisson chaude du réveillon de Noël.