Saõ Tomé, l'« île chocolat »
Cette île du golfe de Guinée, sise à quelques centaines de kilomètres des côtes du Nigeria (au nord), ainsi que du Gabon, du Cameroun et de la Guinée équatoriale (à l’ouest), et dont la colonisation par le Portugal remonte à la fin du XVe siècle, constitue depuis 1975, avec l’île sœur de Principe, la République Démocratique de São Tomé e Príncipe.
Le cacao fut-il introduit à Saõ Tomé par des Hollandais comme certains (D. H. Urquhart, 1956) l’affirment ? Ou, plutôt, ne seraient-ce pas les Portugais qui l’auraient implanté, comme ils l’avaient fait à Principe en 1825 ? Quoi qu’il en fût réellement, ces derniers y entreprirent un cycle moderne de plantation, privilégiant le cacao. Au milieu du XIXe siècle, le Luso-Portugais João María de Sousa e Almeida (Príncipe, vers 1810 - São Tomé, vers 1880), gouverneur de Benguela en 1841, lança le système des grandes plantations (roças) — il devait être anobli « baron d’Agua-Izé », du nom de la terre qu’il avait acquise en 1853 au sud de la capitale. Ces plantations, obtenues à partir de plants importés du Brésil, produisaient un cacau fino, de type forastero, de qualité. À partir de la fin du XIXe siècle, l’économie santoméenne, à dominante cacaoyère, fut gérée du Portugal, essentiellement par des sociétés anonymes. Quelques-unes des grandes plantations produisaient annuellement plus de 2 000 tonnes de cacao marchand. Le domaine Agua-Izé en exporta, à lui seul, 3 000 tonnes en 1908.
Au tout début du XXe siècle, São Tomé devint le premier producteur mondial de cacao et fut surnommée « l’île chocolat ». Les exportations de Saõ Tomé et Principe passèrent de 17 679 tonnes en 1902 à 24 193 tonnes en 1907. Les surfaces cultivées étaient de 11 040 acres à Saõ Tomé, pour 11 104 acres à Principe. Une telle réussite fut possible, explique François Gaulme (1), grâce aux « efforts d’une main-d’œuvre servile (jusque vers 1880) appelée “Gabon” dans la deuxième moitié du XIXe siècle, ou quasi servile après la suppression officielle de l’esclavage, par un système de recrutement de travailleurs salariés venus d’Afrique continentale (Angola et surtout Mozambique, puisqu’ils sont nommés encore aujourd’hui “ Tonga ”), auxquels s’ajoutèrent, au cours du XXe siècle et surtout sous Salazar, des Capverdiens.
La mobilité effective de ces travailleurs “ libres ” et sous contrat était si faible que le chocolatier britannique Cadbury dénonça en 1910 dans son livre Labour in Portuguese West Africa un système de cocoa slavery inavoué, créant ainsi un scandale international qui conduisit les responsables des plantations à multiplier les services sociaux sur place, mais sans accentuer sensiblement la mobilité des travailleurs par rapport à leur pays d’origine. » (2)
(1) Revue Afrique contemporaine, 1er septembre 2000.
(2) En 1903, William Cadbury alla à Lisbonne pour vérifier les rumeurs selon lesquelles les conditions de travail dans les plantations cacaoyères portugaises d’Afrique étaient loin d’être satisfaisantes ; il fut convaincu de la nécessité d’effectuer des réformes. Afin de s’assurer de la mise en place de réformes, d’autres chocolatiers (les Anglais Fry et Rowntree, l’Allemand Stollwerck) apportèrent leur soutien à W. Cadbury au sein d’une commission d’investigation. En 1908, W. Cadbury se rendit en Angola, à Saõ Tomé et à Principe, où il constata qu’aucune mesure adéquate n’avait été prise par le gouvernement portugais. Les chocolatiers impliqués dans cette enquête suspendirent alors leurs achats à Saõ Tomé.
En 1915, Paul Zipperer reconnaît les meilleures qualités au Fine Thomas (« cacao fin de São Tomé »), celle des variétés qui était la plus recherchée. Car il en existait plusieurs, toutes importées par Lisbonne. Toutefois, dès le lendemain de la Grande Guerre, en dépit de sa qualité, la culture cacaoyère accusait un faible rendement, et elle devait être complétée par des cultures « de rente » (café, palmier à huile, cocotier). Aussi l’île n’allait pas conserver longtemps son importance au sein de la production mondiale de cacao. Son accès à l’indépendance s’accompagna d’une gestion agronomique « peu éclairée », et inefficace, des grandes roças (« plantations ») étatisées, par le MLSTP (Mouvement de libération de São Tomé e Príncipe). Le cacao en souffrit d’autant plus qu’à l’inverse du café ou de la canne à sucre, il ne répondait pas à une forte demande intérieure et que, ajoute François Gaulme, « les grandes familles métissées, la nobrezza da terra, aussi bien que les forts (les “ affranchis ”), descendants des premiers colons et de leurs esclaves domestiques, se sentirent tout à fait étrangers au nouveau développement agricole de leur pays ».
La réforme agraire de 1991 « organisa le démembrement de 20 000 ha de grandes propriétés publiques (1/5e de la superficie du pays) en les distribuant à des novos agricultures, allocataires moyens (de 10 à 700 ha, et 14 500 ha au total fin 1998) ou petits (2,4 ha en moyenne, sur 6 500 ha fin 1998), qui tous n’étaient pas considérés par la loi comme des propriétaires au sens plein (contrairement aux forros héritant légalement de leurs parcelles familiales traditionnelles). » Le résultat fut décevant… Bien moins lucratif que les cultures vivrières, le cacao poursuivit son déclin. « La libéralisation systématique et sans garde-fous a été économiquement désastreuse, dans la mesure où elle a entraîné une concurrence sauvage entre acheteurs de cacao, favorable aux tonnages jusqu’à la crise des cours de fin 1998, mais contraire au maintien de la qualité et qui a encouragé les vols de cabosses dans les plantations. De grandes entreprises étrangères, allocataires de quelques domaines encore indivis et disposant d’installations de séchage, n’ont pas joué, dans cette conjoncture, le rôle moteur que l’on attendait d’elles. Un groupe franco-ivoirien s’est retiré en 2000, après avoir englouti des sommes considérables sur crédits publics français. La spéculation au jour le jour l’a emporté sur le souci d’un développement agricole ordonné et à long terme. En réalité, la trop grande convergence entre les principes d’une libéralisation totale, imposés par les bailleurs de fonds, et l’individualisme imprégnant de tout temps la vie nationale, a aggravé la crise socio-économique, même si l’ouverture sur l’extérieur a donné un accès sans précédent aux biens de consommation, comme une mobilité jamais vue en direction de Lisbonne et secondairement de Luanda ou Libreville. »
Aujourd’hui, la culture du cacao s’organise autour de petites plantations de 2 à 5 hectares, fonctionnant selon des méthodes de production traditionnelles. Entrepris en 2000, un programme Bio Équitable, auquel participèrent la société française Kaoka et le FIDA (Fonds d’Investissement pour le Développement Agricole), a donné une impulsion à la cacaoculture à travers la production biologique et le commerce équitable. Le projet a aidé les représentants d’associations locales à constituer la Coopérative d’Exportation et de Commercialisation de Cacao Biologique (CECAB), chargée de coordonner l’activité commerciale et qui réunissait, en 2010, 27 associations de producteurs.
Campagne | Production |
---|---|
1888-89 | 2,000 |
1893-94 | 6,135 |
1894-95 | 7,022 |
1895-96 | 7,509 |
1896-97 | 8,599 |
1897-98 | 9,945 |
1898-99 | 13,932 |
1899-1900 | 13,935 |
1900-01 | 16,982 |
1901-02 | 17,969 |
1902-03 | 22,451 |
1903-04 | 18,000 |
1905-06 | 24,619 |
1906-07 | 24,194 |
1907-08 | 28,560 |
1909-10 | 38,000 |
1913-14 | 31,400 |
1914-15 | 29,900 |
1915-16 | 33,200 |
1916-17 | 31,900 |
1917-18 | 26,600 |
1960-61 | 9,100 |
1961-62 | 9,600 |
1962-63 | 7,800 |
1963-64 | 10,700 |
1964-65 | 8,900 |
1965-66 | 10,900 |
1966-67 | 10,900 |
1967-68 | 10,600 |
1968-69 | 9,100 |
1969-70 | 9,700 |
1970-71 | 11,034 |
1971-72 | 10,395 |
1972-73 | 11,300 |
1973-74 | 10,400 |
1974-75 | 7,900 |
1975-76 | 7,000 |
1976-77 | 5,500 |
1977-78 | 7,000 |
1978-79 | 7,500 |
1979-80 | 5,700 |
1980-81 | 6,500 |
1981-82 | 5,100 |
1982-83 | 4,700 |
1983-84 | 3,378 |
1984-85 | 3,848 |
1985-86 | 4,036 |
1986-87 | 3,957 |
1987-88 | 5,050 |
1988-89 | 3,707 |
1989-90 | 2,799 |
1990-91 | 2,862 |
1991-92 | 4,188 |
1992-93 | 4,492 |
1993-94 | 4,500 |
1994-95 | 3,671 |
1995-96 | 3,753 |
1996-97 | 3,138 |
1997-98 | 3,928 |
1998-99 | 4,197 |
1999-2000 | 3,418 |
2000-01 | 3,652 |
2001-02 | 3,462 |
2002-03 | 3,820 |
2003-04 | 2,500 |
2004-05 | 1,843 |
2005-06 | 1,900 |
2006-07 | 2,800 |
2007-08 | 2,000 |
2008-09 | 2,500 |
2009-2010 | 2,000 |
2010-11 | 2,096 |
2011-12 | |
2012-13 | |
2013-14 | |
2014-15 | |
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