Le chocolat des religieux

 

Pour subvenir à leurs besoins financiers, certaines communautés religieuses doivent effectuer un travail manuel (fromagerie, brasserie, confiturerie, confiserie, miels, biscuiterie, fabrication d’hosties, de cierges, de savons, etc.), parallèlement à leur vie de prière et de silence. C’est le cas des moines et moniales qui relèvent de la règle instaurée au viie siècle par saint Benoît de Nursie — « Ils seront vraiment moines s'ils vivent du travail de leurs mains. […] ». Leur production est commercialisée sur le lieu même de la fabrication et dans des monastères apparentés, mais aussi, de plus en plus, à l’époque de la toile, à travers les sites des communautés elles-mêmes et des sites associatifs monastiques. Le chocolat est présent dans quelques-uns de ces établissements religieux. Le fait n’est pas récent. Dès leur installation dans l’abbaye Notre-Dame de Bonneval, au Cayrol, près d’Espalion (Aveyron), au milieu des années 1870, les cisterciennes, venues de Maubec (Drôme), qui firent revivre le monastère abandonné à la Révolution, installèrent une chocolaterie et, pour son fonctionnement, une turbine, sur la Boralde, petite rivière affluente du Lot. Depuis 1878, la chocolaterie perdure. Elle travaille les fèves et compte parmi ses spécialités (« pur beurre de cacao »), des bouteilles à la liqueur (rhum, poire, Triple-orange), des bonbons de chocolat noir « crème confiseur », fourrés d’un mélange de sucre et de glucose parfumé (menthe, framboise, citron, pêche, etc.), des bouchées et des chocolats pralinés, des malakoffs, des tablettes et des napolitains (notamment, à divers parfums de thé), etc.

C’est à travers la production de gros bouchons de Champagne que l’abbaye Notre-Dame d'Igny, située sur la commune d'Arcis-le-Ponsart (Marne), s’est fait une réputation chocolatière. En 1929, des moniales, venues de Laval, succédèrent aux moines cisterciens dans l’abbaye reconstruite — elle avait été détruite en 1918 — et depuis 2011, y sont regroupées quatre communautés (La Grâce Dieu, Belval, Igny, Ubexy). Le bouchon (h. 4 cm, 30 g), dont la recette est protégée, demeure la spécialité d’Igny ; il s’en est vendu plus de 70 000 en 2002. Une coque de chocolat noir enferme un fourrage à base de gianduja et de marc ou de fine de Champagne (6 %). Mais le monastère propose aussi : des petits bouchons de Champagne, dont l’enveloppe de chocolat noir (55 %) masque un gianduja parfumé au rhum
ou au marc de champagne ; des capsules de champagne, bonbons de chocolat noir en forme de capsule, diversement fourrés, d’une ganache (mandarine, pêche, framboise, fraise, etc.), de praliné ou, simplement, de chocolat ; des feuilles de vigne, faites de chocolat noir fourré de praliné ; des petits carrés « Caraïbes » (67 %) pour accompagner le café ; des grains de café, bonbons de chocolat noir fourrés d’une ganache à base de café.

En 1950, pour assurer leur subsistance, les religieuses de l’abbaye cistercienne Notre-Dame de la Paix, à Castagniers (Alpes-Maritimes), se lancèrent dans la confiserie-chocolaterie et fabriquaient, au début des années 2010, environ 2 tonnes de chocolat par an. Chocolat pur beurre de cacao, noisettes du Piémont et amandes d’Espagne entrent dans leurs produits — gamme de tablettes et de barres, rochers pralinés, orangettes, amandes enrobées, cacao en poudre, petit-déjeuner au cacao et aux céréales (Monakola), moulages pour Noël et Pâques, etc. Pour Pâques 2013 fut créé le youbilo, bonbon de chocolat fourré au praliné. Au sein de cette production chocolatière monastique française, on pourrait encore mentionner l’abbaye La Joie Notre-Dame, établie depuis 1953 à l’orée de la forêt de Brocéliande, sur la commune de Campénéac (Morbihan), ou l’abbaye Notre-Dame des Dombes, au Plantay (Ain).

Au Québec (Canada), les pères trappistes de l’abbaye Val Notre-Dame, à Saint-Jean-de-Matha (1), au pied de la Montagne-Coupée, se sont fait une spécialité des ganaches, confectionnées à partir de chocolat belge, de crème, de fruits (aux cerises, aux bleuets (2), à l’érable, etc.) et de noix. Mais ils produisent aussi des menthes enrobées de chocolat, du chocolat au caramel, du chocolat à fondue, etc. De même en est-il des trappistes du monastère Notre-Dame de Mistassini (3), fondé en 1939 à Dolbeau-Mistassini (Québec) ; ils fabriquent une gamme de produits chocolatés traditionnels pour le marché du Québec — rosettes au chocolat noir, blanc ou au lait, barres de guimauve enrobées de chocolat, arachides enrobées de chocolat, moulages de Pâques, etc. Les « bleuets enrobés de chocolat noir » méritent une mention particulière, car l’originalité de ces bonbons est d’utiliser des baies fraîches, et non séchées comme c’est le cas chez d’autres chocolatiers. En conséquence, cette friandise québécoise recherchée, lancée par les religieux en 1967 et qui contribue au rayonnement de la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean, est un produit saisonnier, lié à la cueillette des petits fruits, qui, dans la région du lac Saint-Jean, s’étale sur environ six semaines, de juillet à septembre. Plus de vingt personnes, dont sept pères trappistes, travaillent à la production artisanale de ce bonbon, de l’achat de bleuets à l’expédition dans toute la province ; quelque 80 000 boîtes sont vendus, ce qui correspond à quelque 10 tonnes de bleuets transformés.

Pour ce qui est des nonnes de l'abbaye Notre-Dame du Bon Conseil, à Saint-Benoît-Labre, leur talent chocolatier vient d’outre-Atlantique. De fait, envoyées au Québec au tout début du XXe siècle, pour y créer cette abbaye, à Saint-Romuald (Pont Etchemin), des moniales de l’abbaye Notre-Dame de Bonneval, susmentionnée, y mirent en place un atelier de chocolat dès 1903. Une publicité parue en 1919, dans Le Canada Ecclésiastique (4), et consacrée au « Chocolat des RR. MM. Trappistines », « garanti pur cacao et sucre » mettait l’accent sur les falsifications très courantes à l’époque et la nécessité pour le consommateur d’être sur ses gardes, puis concluait : « En s’approvisionnant chez les religieuses trappistines, on sera assuré de la pureté du produit, on bénéficiera de prix modérés, et l’on fournira des moyens d’existence à une communauté très pauvre ». En 2002, le lieu étant devenu trop grand, les sœurs s’établirent à Saint-Benoît-Labre dans un nouveau couvent, construit l’année précédente. La chocolaterie reste la seule activité à assurer la survie économique du couvent. À la fin des années 1980, son fonctionnement en avait été simplifié : le traitement des fèves de cacao a été remplacé par l’emploi de pastilles de couverture. La production de chocolat y a gagné en finesse ; elle oscille, chaque année, entre trois et quatre tonnes, vendues principalement au monastère.

Bonbons de chocolat, bouchées, tablettes, barres. moulages …. L’accent est mis sur le « pur beurre de cacao » et, souvent, sur le « Bio ». Le « petit déjeuner chocolaté » y est aussi à l’honneur, notamment à l’abbaye Notre-Dame de Sept-Fons, à Dompierre-sur-Bresbre (Allier), où les pères trappistes, spécialisés dans les produits « santé - diététique » et les compléments alimentaires, fabriquent le Germalt bio (malt et cacao), le Germacao bio (cacao et céréales biologiques), le Gaborcao (germe de blé et cacao dégraissé) et le Nutrichoco, petit déjeuner à base de cacao et de céréales complètes, dont la saveur sucrée provient de l'association d'édulcorants d'origine naturelle — l'érythritol et un extrait de la plante Stevia rebaudiana, qui n'apportent aucune calorie.

(1) La communauté du Val Notre-Dame est la continuité de l’abbaye cistercienne Notre-Dame du Lac qui a vécu à Oka (Québec) de 1881 à 2009.

(2) Nom donné au fruit de l'airelle à feuilles étroites, espèce voisine de la myrtille. Originaire d'Amérique du Nord où il pousse à l'état sauvage, le bleuet est cultivé au Canada et aux États-Unis (blueberry). En 2006, au Canada, la récolte de bleuets globale [sauvages (2/3) et cultivés (1/3)] s’est élevée à 88 000 tonnes. La saveur de cette baie est acidulée, sa texture légèrement pâteuse.Pâtisserie, confiserie et cuisine en font un grand usage. Environ la moitié des bleuets récoltés est congelée, réduite en purée, concentrée ou séchée.

(3) À l’origine : un comité d'initiatives industrielles constitué en 1939 par des habitants de Dolbeau et dont le père Samuel, du monastère, fut membre. Une confiserie allait voir le jour, équipée pour fabriquer un Bonbon du Lac. Les débuts s’évérèrent difficiles. En outre, en 1941, en raison de la guerre, elle dut fermer. Elle fut rachetée. Son repreneur la rebaptisa « Bonbons Saguenay » et fit appel aux trappistes pour l’aider à la faire tourner. Le matériel fut alors transféré au sous-sol de l'église abbatiale. En 1944, les moines se portèrent acquéreurs de ce matériel et devinrent propriétaires de la fabrique. Dès lors, hors les bonbons, ils débutèrent la production d’articles en chocolat pour Pâques. Peu à peu, le chocolat gagna en importance. Et, en 1978, la dénomination de Chocolaterie des Pères Trappistes fut adoptée. [Source : Denis Hudon, Le Point du Lac Saint-Jean, 27 mars 2012.]

(4) Montréal, Librairie Beauchemin, 33e année.