Guatemala

 

 

Les principales marchandises que l’on apporte de cette côte-là à Guatimala, sont tirées des Provinces de Soconuzo & Suchutepeques,

qui sont extrémement chaudes & sujettes aux tonnerres & éclairs, où il ne croist presqu’aucune autre denrée considerable que du cacao,

de l’achiotte, du mechasuchil, des bainillas, & autres drogues pour faire le chocolatte, si ce n’est quelque indigo & cochenille,

qu’on recüeille aux environs de Saint Antoine, qui est la ville Capitale de toutes les Suchutepeques.

Thomas Gage, Nouvelle relation, contenant les voyages de Thomas Gage dans la Nouvelle Espagne…

 

C’est dans les basses terres littorales de ce pays d’Amérique centrale, enserré entre l’Océan Pacifique et la Mer des Caraïbes, que la culture du cacaoyer aurait « vu le jour », au sein de la civilisation maya. Elle s’étendit peu à peu, de façon plus ou moins continue, au pied des hautes terres bordant le Pacifique et concerna donc diverses populations, des indiens parlant le maya (Cakchiquel, Quiché, etc.) à ceux parlant le pipil ou à ceux parlant le sinca. Au temps de la conquête du Mexique, qui jouxte ce territoire au nord-ouest, les régions de production étaient, d’après les témoignages de l’époque, celles de Guazacapán, Suchitepéquez (Zapotitlán) et Izalco. La première mention du cacao au Guatemala figurerait dans une lettre adressée en 1524 par le conquistador Pedro de Alvarado à Cortés.

Cette production était de faible importance, et elle devait le rester au cours des périodes ultérieures, d’autant que le café (1) allait jouer un rôle important dans l’économie guatémaltèque. En outre, au XVIIe siècle, elle souffrit de la concurrence du cacao de Guayaquil (Équateur), et, suite à une décision de l’Audience de Guatemala (1635), ce dernier fut interdit à l’importation sur le sol guatémaltèque, mesure restrictive qui resta en vigueur jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Dans son Histoire naturelle et morale des îles Antilles de l’Amérique... (Rotterdam, 1658) (2), Charles de Rochefort signale le cacao dans « la province de Guatimala, près de la neuve Espagne », comme un fruit très renommé dans toute l’Amérique, « principal ingrédient qui entre en la composition de la Chocolate, ou Chocolat ». En 1690, le Dictionnaire Universel de Furetière indique qu’on trouve beaucoup de cacaoyers dans « le païs de Guatemala ». Dans les années 1840, Arthur Morelet constatait lors de son voyage au Guatemala : « La côte du Sud est bien déchue de son ancienne prospérité, quoique la fécondité du terroir y soit toujours incomparable […] ; mais la véritable richesse du pays, c’est le cacaoyer, qui, favorisé par le sol et par le climat fournit un produit dont la valeur est sans égale : cependant la culture de cet arbre languit et tend à disparaître sur toute l’étendue de la côte. D’anciens documents constatent que l’on y chargeait annuellement, à l’époque où les bâtiments du Pérou et de Panama fréquentaient le port de Zonzonate, de 1,500 mille à 2 millions de kilogrammes de cacao ; 6 à 700 mille kilogrammes étaient expédiés, à dos de mulet, dans la direction d’Oajaca, et les Indiens en transportaient une égale quantité sur d’autres points du territoire. Dans l’intervalle d’un siècle, la production a diminué des deux tiers, résultat que l’on attribue au décroissement de la population, décimée par l’abus des liqueurs alcooliques. » Annexée au département de Guatemala, l’ancienne province d’Escuintla produisait, écrit Morelet, « après celui de Soconusco, le meilleur cacao de l’Amérique Centrale ».

Pot à chocolat maya, vers 750, Guatemala, Yucatan, céramique, 11,43 x 16,51 cm, The Minneapolis Institute of Arts, Etats-Unis. Il est orné de quatre glyphes se référant au lieu d'origine, au propriétaire, à la forme du contenant et au cacao.

(1) C’est dans la région d’Antigua, son ancienne capitale, que le café fut introduit au Guatemala, par les Jésuites, au milieu du XVIIIe siècle. Sa culture ne prit, toutefois, son essor que plus d’un siècle plus tard, avec l’explosion du libéralisme, incarné par Justo Rufino Barrios (1873-1885).

(2) Attribuée à tort à César de Rochefort. L’ouvrage fut publié sous la signature C. de Rochefort.

Vase pour boire le « chocolat », 250  – 600, basses-terres du nord, Musée Popol Vuh, Guatemala City

Au tournant du XXe siècle, le pays produisait moins de cacao qu’il n’en consommait. Mais il était de qualité. Henry Jumelle observe que les cacaos guatémaltèques « ont un arôme faible, mais une saveur très délicate. C’est une sorte très fine, qui est cependant rarement exportée en Europe ». Les départements producteurs étaient l’Escuintla, le Suchitepéquez, le Solola et le Rethaluleu, tous dans une zone comprenant les côtes de l’Atlantique et du Pacifique et où le cacaoyer était cultivé jusqu’à 900 mètres. « Presque tous ces cacaoyers appartiennent à de petits propriétaires ; il n’y a guère, comme grandes plantations, que celles d’Aguna et de Guachipilin.», note Jumelle. à ce déclin avait contribué le plan d’investissement en faveur du café développé par les colons allemands au cours du dernier tiers du xixe siècle. Puis, lorsque les propriétaires allemands furent expropriés, en 1945, les Guatémaltèques ne se tournèrent pas vers le cacaoyer en raison de la main-d’œuvre que sa culture impliquait. La longue guerre civile que connut ensuite le pays, plusieurs décennies durant, fit oublier le cacao, ou presque — car les stations expérimentales dédiées au cacao (Los Brillantes, Navajoa) poursuivirent tant bien que mal leurs recherches. Canne à sucre et hévéa occupèrent le terrain.

C’est en 2005 que germa le projet de créer une filière cacao, appuyé par le gouvernement et avec pour devise Salvemos al Cacao (« Sauvons le Cacao »). Ce souhait d’un renouveau cacaoyer fut conforté par la grande exposition qui, en cette année 2005, fut organisée par l’Université Francisco Marroquín et le Museo Popol Vuh (Guatemala City), Kakaw : El Chocolate en la Cultura de Guatemala. D’intéressantes tentatives pour relancer la culture cacaoyère ont commencé à voir le jour, notamment à travers les regroupements de planteurs. Parmi les nombreux organismes et associations afférents au cacao que compte le pays, l’ADIPKAKAW (Asociación de Desarrollo Integral de Productores de Kakaw), dont le siège est à Cahabón, et l’ADIXKAKAW (Asociación de Desarrollo Integral de Cacao de Lanquín), à Lanquín, toutes deux établies dans le département d’Alta Verapaz, sont partenaires et réunissent au total 1 878 familles de planteurs Quichés. Créée en 2007 à San Miguel Panán (département de Suchitepéquez), l’ASECAN (Asociación de Sembradores de Cacao de la cuenca de Nahualate) regroupe 163 familles, pour la plupart Quichés, et vise à permettre aux producteurs de mieux connaître l’arbre, sa culture et son environnement. Fondée également en 2007, l’APROCA (Asociación de Productores de Cacao del Sur Occidente de Guatemala) compte 80 familles, surtout Quichés. Etc.

Aujourd’hui, la majeure partie des plantations est concentrée au nord — partie basse du département d’Alta Verapaz, quelques zones du département de Petén — et au sud ouest (Boca Costa) — départements côtiers de Sololá, Quetzaltenango, Suchitepéquez, Retalhuleu et San Marcos. Ces deux régions possèdent 88,62 % de la superficie totale cultivée en cacaoyers, celle-ci étant d’environ 2 700 hectares. On trouve aussi des cacaoyers dans le département d’Izabal (région Atlantique). Le cacao est cultivé, en majeure partie, par des petits planteurs appartenant aux ethnies K’ekchí, Cak’chiqueles et Quichés. 85 % des planteurs possèdent moins de 5 hectares. Le rendement moyen à l’hectare varie de 400 à 500 kg, une faible productivité qui s’explique par des facteurs comme l’irrégularité des pluies, la présence de maladies difficiles à éradiquer et d’insectes défoliateurs ou le déclin de la fertilité des sols. À cela s’ajoute la menace des tempêtes tropicales qui dévastent les plantations (par ex., le cyclone Stan en 2005). Les départements qui, en 2002-2003, présentaient la meilleure productivité étaient ceux d’Alta Verapaz, de Suchitepéquez et de San Marcos. Une large partie de la production est absorbée par la consommation locale. À la fin des années 2000, le pays comptait 154 entreprises de transformation artisanale des fèves pour l’obtention du chocolat à boire (chocolate de taza) et 8 firmes de transformation industrielle en produits semi-finis ou finis. L’ANAKAKAW (Asociación Nacional del Kakaw) développe depuis sa création, en 2005, une stratégie nationale pour que les petits producteurs bénéficient d’une meilleure valeur ajoutée. Ses objectifs : soutenir les associations de producteurs ; favoriser la qualité ; améliorer le rendement ; impliquer davantage les petits producteurs dans la filière cacao ; etc.

Le cacao du Guatemala.

 

Le Guatemala produit un peu de criollo, apprécié pour la puissance aromatique et la faible amertume qui font sa spécificité. Pour certains, le meilleur cacao guatémaltèque est celui produit à San Antonio Suchitepéquez, dont l’altitude est idéale pour la culture cacaoyère. Le chocolat de Quetzaltenango est aussi très recherché.

Guatemala : production de cacao

en milliers de tonnes

 

1960-61                                               0,500

1961-62                                               0,500

1962-63                                               0,500

1963-64                                               0,600

1964-65                                               0,600

1965-66                                               0,600

1966-67                                               0,800

1967-68                                               0,600

1968-69                                               0,500

1969-70                                               0,600

1970-71                                               0,700

1971-72                                               0,800

1972-73                                               0,800

1973-74                                               0,800

1974-75                                               0,603

1975-76                                               0,704

1976-77                                               3,795

1977-78                                               4,522

1978-79                                               1,679

1979-80                                               1,132

1980-81                                               1,100

1981-82                                               1,200

1982-83                                               1,290

1983-84                                               1,679

1984-85                                               2,300

1985-86                                               2,200

1986-87                                               2,443

1987-88                                               1,990

1988-89                                               3,009

1989-90                                               3,000

1990-91                                               2,934

1991-92                                               2,800

1992-93                                               2,544

1993-94                                               2,576

1994-95                                               2,392

1995-96                                               2,461

1996-97                                               2,364

1997-98                                               2,392

1998-99                                               2,381

1999-2000                                           2,336

2000-01                                               2,336

2001-02                                               2,105

2002-03                                               4,400   2003-04                                               6,700

2004-05                                               8,569   2005-06                                               9,083

2006-07                                               9,924

2007-08                                               9,911

2008-09                                               9,956

2009-10                                               10,713

2010-11                                               10,927

2011-12                                               ????

2012-13                                               ????

Vase à boire le « chocolat » - Guatemala ou Mexique, Maya, 550–700,

Los Angeles County Museum of Art

 

[…] Baumes, bézoards et, fondues et diluées,

Quelques larmes du très riche quinquina

De Soconusco qui rend prospère le Guatemala.

Lorenzo Magalotti, Regalo d’un finimento di bucchero nero *

 

* « Cadeau d’un service de bucchero noir », dans Lettere sopra i buccheri con l’aggiunta di lettere contro l’ateismo, scientifiche e erudite e di relazioni varie, « Lettre sur les Buccheri augmentée de lettres contre l’athéisme, scientifique et érudites et de relations diverses », Florence, M. Praz éd., Le Monnier, 1945.

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