Belgique

 

 

La domination espagnole dans les Flandres autant que la proximité de la France, rapidement acquise au nouveau breuvage, contribuèrent à la diffusion du chocolat dans les pays du nord. D’après certains, la région gantoise l’aurait connu dès les années 1630. Il est, en effet, fait mention dans les comptes de l’abbaye de Bandeloo (Gand) que, « en 1635, l’abbé fit chercher à Anvers une boîte de chocolat qu’il voulait offrir en cadeau. Il est très probable que ce chocolat arrivait à Anvers de l’Espagne. » (Alphonse Vanaise (1).) Si l’usage de boire du chocolat fut adopté avec succès dns le pays, il fallut attendre jusque vers 1840 pour voir apparaître la première entreprise faisant commerce de chocolat « sous forme de tablettes, de pastilles et de figurines » ; ce fut la firme Berwærts, qui s’approvisionnait en moules à Paris. D’autres chocolateries apparurent sur ses traces. On en dénombrait une douzaine dans le deuxième tiers du XIXe siècle, parmi lesquelles Meurisse (1845) à Anvers, Delannoy (1848) à Tournai (2), A. Joveneaux (1849) à Tournai (3), Neuhaus (1857) à Bruxelles, et Senez-Sturbelle (1860) à Bruxelles (4),. Devaient suivre Meyers-Courtois et Cie (1870) à Læken, Charles Delacre (1872) à Vilvoorde, De Beukelaer (1889) à Anvers. La progression alla grandissant : quelque cinquante chocolateries en 1905, puis trois fois plus à la veille de la Grande Guerre. Tournai fut, au tournant du siècle, l’un des grands centres chocolatiers ; il comptait neuf firmes en 1875. Au début du XXe siècle, la chocolaterie Gloria, sise à Vaulx-sur-Escaut, près de Tournai, bénéficiait d’une grande renommée. Sa publicité insistait sur la qualité des produits mis en œuvre, « garantis absolument purs » : « ils sont agréables au goût, exquis, délicieux. Ils se recommandent aux personnes soucieuses de leur santé, de même qu’aux gourmets. La modicité de leurs prix, eu égard à la qualité, les met à la portée de toutes les bourses. » Elle proposait les marques Regal, Regia et Gloria.

Vint le temps des innovations : en 1912, Jean Neuhaus inventa la coquille de chocolat que l’on garnit de crèmes de toutes sortes, et ainsi naquit le chocolat fourré (praline). C’est également à ce chocolatier que revient, en 1915, la mise au point du ballotin en carton qui, dans le monde entier, allait remplacer les cornets. La Belgique prit donc rang de pays du chocolat. Et autour de ce produit toute une industrie se créa, bientôt florissante. Ainsi qu’on pouvait le lire dans le Bulletin Officiel de l’Exposition Universelle de Bruxelles, en 1935 : « La renommée des chocolats belges n’est plus à faire, ils concurrencent partout avec succès les chocolats étrangers les plus réputés […]. » Les grandes expositions internationales constribuèrent sans conteste à faire connaître la chocolaterie belge. De l’exposition universelle et internationale Bruxelles 1935, dont l’imposant pavillon Côte d’Or constitua un des clous, à l’exposition universelle de Bruxelles, en 1958, où furent présentes les firmes Côte d’Or, Jacques, Meurisse et Victoria.

(1) Union des Patrons Pâtissiers de Belgique, Mémorial 1887-1928. Créée en 1887, à Bruxelles, l’Union des Patrons Pâtissiers se fixa pour objectifs, notamment, d’« établir entre tous les associés les liens d’une sincère confraternité », de se défendre contre la concurrence des boulangers, de protéger et de promouvoir la prodession. Elle se dota en 1889 de sa propre chocolaterie, à Molenbeek-Saint-Jean ; son chocolat fut commercialisé sous la marque Chocolat Le Progrès.

(2) « Fournisseur de la Cour », la chocolaterie était réputée pour sa marque Duchesse, pour son Chocolat des Princes « garanti pur caraque », double vanille », et son Chocolat fin de santé - vanille. Elle remporta plusieurs médailles dans les expositions internationales. Elle connut son essor à partir de la fin des années 1880, sous la houlette des frères Émile et Georges De Ruytter qui l’avaient reprise. Rebaptisée S. A. Chocolaterie et Confiturerie De Ruytter en 1929, elle cessa son activité en 1934.

(3) Créée par Pierre-Alexandre Joveneaux, cette chocolaterie fut connue, au fil des décennies, pour son Chocolat Duchesse superfin à la vanille, son Chocolat des Princes fin à la vanille et son chocolat au lait, Le Fortifiant. Elle resta familiale jusqu’à sa disparition au début des années 1950.

(4) Cette chocolaterie-confiserie, dont l’usine à vapeur se trouvait rue du Pavillon à Schaerbeek, et l’entrepôt génral, 117 rue Neuve à Bruxelles, était « Fournisseur de S. A. R. Mgr le Comte de Flandre ».

(5) Organisée par Visit Brussels et inaugurée à Anderlecht (Bruxelles), elle circula aux quatre coins de la capitale, avant d’être présentée au Parc royal. Elle réunit 35 sculptures, réalisées par une vingtaine d’artistes originaires de Bruxelles, de Wallonie, de Flandre et de France, et dont certaines atteignaient 5 mètres de hauteur.

(6) Cité par Le magazine du Monde, 31 mars 2012.

Aujourd’hui, le chocolat reste indissociable de la Belgique. Pour preuve, en 2012, année de la gastronomie, l’exposition Brusselicious XXL (5) proposa en moulages géants les cinq emblèmes de la gastronomie populaire — « celle qui est accessible à tous et symbolise notre identité, au-delà des différences linguistiques », explique Patrick Bontinck, directeur de l’organime à l’origine de la manifestation (6) —, et, parmi ceux-ci, la tablette de chocolat, aux côtés du cornet de frites, du verre de bière, de la moule et du chou de Bruxelles. Plus encore, la chocolaterie belge s’est imposée dans le monde. Sa situation s’est renforcée depuis le début des années 1980. La naissance d’une industrie de la couverture, destinée à approvisionner les petites fabriques, a permis l’essor du secteur chocolatier. Sa production est désormais largement répandue dans les autres pays européens. Si elle accorde une place importante aux tablettes et aux bâtons, elle lie essentiellement son image de marque aux bonbons de chocolat, qu’elle appelle pralines. Le chocolat plein au lait y connaît la plus grande faveur, suivi par le chocolat fourré à la crème, puis par le chocolat fourré au praliné et aux noisettes. Deux marques internationales, une demi-douzaine de marques d’origine nationale datant d’avant 1920 ainsi que quelques fabricants exclusifs de pralines et de fantaisies se partagent le marché du « chocolat de bouche ». Plus de la moitié des chocolateries se trouvent dans les Flandres, un tiers dans la capitale, Bruxelles, et le reste, soit à peine 10 p. 100, en terre wallonne.

Bruyerre (1909), Godiva (1920), Corné-Toison d’Or (1936), Galler (1976), D’Artagnan (Opglabbeek, 1976)… La chocolaterie Vandenbulcke, établie à Courtrai depuis 1950, consacre la majeure partie de sa production aux chocolats moulés. Ses « fruits de mer » sont réputés, tout comme ses œufs et clochettes de Pâques ainsi que ses saint Nicolas et ses animaux. Les « fruits de mer » sont aussi la spécialité de la chocolaterie Guylian, fondée en 1967, à Sint-Niklaas. De son côté, la firme Léonidas (voir ce nom) compte des boutiques dans toute l’Europe et même au Canada. Bruges, qui revendique le titre de « capitale du chocolat », accueille la manifestation « tout chocolat » choc’in brugge. À ce contexte chocolaté participent quelques spécialités gourmandes dont s’est dotée la « Venise du Nord » : un chocolat en forme de cygne, emblème de la ville (Brugsche Swaentje), un bâtonnet au chocolat au lait diversement parfumé (chocodip, de Dumont), des grappes de raisin en chocolat fourrées de massepain ou de praliné (maison Spegelaere), etc. Anvers perpétue, avec ses petites mains en chocolat, le souvenir de la légende à laquelle la ville doit son nom (Antwerpen, « jeter la main ») — un soldat romain serait parvenu à tuer le géant qui faisait régner l’épouvante dans la cité et aurait jeté sa main dans le fleuve.

Le goût du chocolat

 

En Belgique, le chocolat chaud participa longtemps à certaines traditions à l’instar du café, voire du thé. « Le couvert était mis pour le déjeuner. Tout de suite, elle apporta du chocolat brûlant et des couques au beurre réchauffées au four, extra remplaçant, suivant la coutume locale, pour les quatre grandes fêtes gardées, le café au lait mélangé de chicorée et les tartines de tous les jours. », écrit Edmond Picard à propos d’un soir de Noël à Bruxelles, dans sa nouvelle La Veillée de l’huissier (1885). À Bruges, en février, à l’occasion du samedi qui précède le Mardi Gras — vrouwken zaterdag (« samedi des femmes ») (7), les femmes offraient du café ou du chocolat avec des gâteaux aux raisins de Corinthe. Le même usage se retrouvait à Courtrai. Autre exemple : à Namur, lors du Jeudi Saint, la coutume voulait que l’on imitât en quelque sorte la Cène. « On rassemble tous les membres de la famille et tous les gens de la maison à une même table, et l’on prend en commun du café, du thé ou du chocolat avec des lunettes (8). On nomme cela “ faire la Cène”. » (9) Sorte de brioche, spécialité de Wallonie, le cramique était naguère encore dégusté le dimanche, avant ou après la messe, avec du chocolat chaud. Aujourd’hui, les gaufres s’y dégustent en toutes circonstances, parfois nappées de chocolat.

(7) « […] les jours qui le suivent portent, à Bruges, le nom de : “ mannekens zondag ”, dimanche de hommes, “ meisjens maendag ”, lundi des filles, et “ knechtjen dinsdag ”, mardi des garçons, dénominations qui, à l’instar de celle du samedi des femmes, ont leur origine dans l’usage de “ thomassen ”, c’est-à-dire d’enfermer tour-à-tour les personnes dont le jour port le nom, afin d’en obtenir un régal. » (Baron de Reinsberg-Düringsfeld, Traditions et légendes de la Belgique, 1870.)

(8) Pâtisserie traditionnelle de Pâques, aussi en usage dans d’autres localités (Verviers, notamment). Elle se consomme aujourd’hui tout au long de l’année, de préférence avec un chocolat chaud. Faite d’une pâte levée, riche en beurre, additionnée de sucre perlé et parfois d’amandes effilées, elle est aussi appelée mitcho en wallon et parfois miroux, voire gâteau de Verviers.

(9) Baron de Reinsberg-Düringsfeld, Traditions et légendes de la Belgique, 1870.

Des chocolateries célèbres en leur temps…

 

Fondée en 1841 à Tournai et baptisée du nom de son créateur, la chocolaterie Delannoy obtint plusieurs récompenses dans des expositions internationales (Londres, 1862 ; Paris, 1867 ; Vienne, 1873 ; Philadelphie, 1876 ; etc.). Elle était réputée pour ses chocolats en tablettes et en paquets, pralines et autres bonbons, beurre de cacao, cacao en poudre, etc. Créée en 1876 à Bruxelles (25 rue de la Clinique), la chocolaterie Ruelle fabriquait aussi de la confiserie, des dragées et des « produits spéciaux pour la pharmacie » (pastilles, pâtes médicamenteuses). Son chocolat « Crème liqueur » était réputé. Elle participa à l’Exposition internationale de Bruxelles en 1935. Cartes postales publicitaires, buvards… Dans les années 1940, elle édita des images sur le thème des « Fables de La Fontaine ». Lors de l’exposition universelle de 1878, Arthur Joveneau, de Tournai, dont la firme fut, elle aussi, souvent récompensée (Paris, 1867 ; Vienne, 1873 ; Philadelphie, 1876 ; etc.) « eut la judicieuse idée de joindre à son exhibition un exposé des détails complets de la fabrication du chocolat, avec dessins figurant les matières premières et les diverses manipulations que subissent les produits de la fabrication » — son exhibition consistait en « des chocolats en paquets depuis 90 centimes jusqu’à 4 francs le kilo, du cacao en poudre et du beurre de cacao ».