Guérin-Boutron

(France)

 

Au cours du dernier quart du XVIIIsiècle, un épicier-droguiste parisien Pierre Joseph Roussel, demeurant à l’abbaye Saint-Germain-des-Prés, à côté de la fontaine, en entrant par la rue Sainte-Marguerite, se fit connaître par la qualité du chocolat qu’il fabriquait. D’après l’ouvrage Affiches, annonces et avis divers ou Journal général de France, publié en 1783, la renommée du sieur Roussel était déjà bien établie à cette date. Pommade, poudre d'Alkermes… Ses « remèdes » étaient réputés. Quand se mit-il donc à fabriquer du chocolat ? Sans doute s’y intéressa-t-il dans les années 1760. Pour preuve, un article du Mercure de France, paru en septembre 1769 : « le sieur Roussel […] ayant appris que des personnes mal intentionnées avoient fait courir le bruit qu’il avoit cessé de débiter le Chocolat oriental, avertit le public que non-seulement il n’a pas discontinué de vendre cet excellent spécifique dont la vertu est reconnue de plus en plus par les bons effets qu’en ressentent les vieillards, les infirmes et des personnes qui craignent de devenir pulmoniques, mais qu’il est le seul qui en fasse la distribution, soit à Paris, soit dans les provinces & les païs étrangers, où il fait souvent des envois. » Mais ce Chocolat oriental, sorte d’aliment miracle, se présentait, en fait, comme un sirop, en bouteille. Et était-ce vraiment du chocolat ? En dépit de la réputation de probité du chocolatier, certains esprits, des plus sérieux, en doutèrent à l’époque (1)… Quoi qu’il en soit, il semble qu’en 1775, le sieur Roussel eut l’idée d’estampiller son chocolat, ce qui sous-entend qu’il fabriquait également du chocolat solide, et il fit part de son idée dans le Mercure de France : « le Sieur Roussel […], considérant que l’usage du chocolat devient ordinaire, tant pour la santé que pour l’agrément, assuré de la bonté de sa fabrique par les témoignages & les applaudissements de plusieurs personnes de distinction et de goût… il donne avis au public qu’en qualité de citoyen qui veut être utile à ses compatriotes, et pour éviter toute surprise, il fait mettre sur chaque pain de chocolat sortant de sa fabrique, l’empreinte de son nom et de sa demeure. »

(1) Affiches de province, 15 juin 1868 : « Nous apprenons que cette composition, qu’on nous assure être très salubre, continue de se distribuer avec succès chez le sieur Roussel, Marchand-Epicier-Droguiste, à l’Abbaye de Saint-Germain-des-Prés, à Paris ; que c’est une sorte de blanc-manger, composé des parties les plus succulentes de certains animaux comestibles, et qu’il n’y entre ni cacao, ni amandes. […] C’est un restaurant pour la vieillesse et pour les personnes épuisées par quelque cause que ce soit. » Cité par Jean-Claude Bonnet dans La Gourmandise et la faim - Histoire et symbolique de l'aliment (1730-1830), Livre de Poche, 2015.

C’est, semble-t-il, en 1790, année de son mariage, que Roussel déménagea au 5 rue Plâtrière (2). Puis, avec le changement de nom de la rue, l’année suivante (3), il se retrouva au 5 rue Jean-Jacques Rousseau. Après la mort de Pierre Joseph Roussel (avant 1805), sa veuve (4) continua de gérer l’affaire. La fabrique de chocolat de la Veuve Roussel mettait en avant son souci de qualité. « Pour éviter toutes espèces de méprises, elle [Mme Vve Roussel] prévient que chaque pain de Chocolat, sortant de sa Maison, porte l’empreinte de son nom et de sa demeure », indiquait sa publicité. Les produits qui continuaient de faire sa notoriété étaient les chocolats de santé, les pastilles béchiques, « stomacales, au cacao, très-salutaire à la santé », les pastilles au chocolat, les chocolats analeptiques au salep de Perse, etc. Son gendre, Alexis Louis Bouton (5), allait lui succéder à la tête de la fabrique (entre 1817 et 1835). Laquelle, en 1817, avait pris rang de « fournisseur breveté de S. A. le Dauphin » et, en 1829, avait acquis le titre de « fournisseur de S. A. le duc de Bordeaux ».  En 1832, elle avait été transférée au 27 boulevard Poissonnière, près de la rue Montmartre et du Nouveau Bazar. En un temps où le chocolat se voulait thérapeutique et où toutes sortes de chocolats de santé étaient concoctés, on continuait « d’y préparer avec soin le chocolat adoucissant et anti-spasmodique au lait d’amandes et à la fleur d’oranger, le chocolat béchique au lichen d’Islande, très-salutaire aux poitrines délicates, etc. » (6) Et son entrepôt de thés se voulait aussi de première qualité. L’entreprise disposait d’un dépôt au 12 rue du Petit-Bourbon-Saint-Sulpice.

(2) Almanach des 25,000 adresses de Paris pour l’année 1817…, Panckoucke, 1817.

(3) L'origine de la rue remonte au début du XIIIsiècle : elle menait à la plâtrière de Maverse. Habitée dès 1283, la partie de la voie qui se situe au nord de la rue Coquillère prit le nom de « Maverse », puis de « rue Plâtrière ». La partie au sud fut nommée successivement « rue de Guernelles », « Guarnelle », « Guarnales », « Garnelles », de « Guernelle Saint-Honoré » et de « Grenelle Saint-Honoré ». La rue Plâtrière changea de dénomination en 1791, pour devenir la « rue Jean-Jacques-Rousseau », en l'honneur du célèbre écrivain et philosophe qui logea rue Plâtrière, de 1770 à 1778. La rue de Grenelle-Saint-Honoré ne lui fut adjointe qu’en 1868.

(4) Victoire Antoinette Delaporte (1770 ? – 26 mai 1835) — contrat de mariage en date du 13 juin 1790. L’Almanach du commerce de Paris, des départements de l'empire français et des principales villes de l'Europe, an XIII (1805) mentionne une Veuve Roussel comme fabricante de chocolat rue Jean-Jacques Rousseau. Son époux était donc mort avant cette date. L’Almanach de 25000 adresses de Paris pour l’année 1817… (Panckoucke, 1817) la cite au 5 rue Plâtrière.

(5) Issu d’une lignée de marchands de vins parisiens réputés, Alexis Louis Boutron (Paris 5 mai 1791, baptisé à Saint-Augustin – Paris 623 mars 1879) épousa le 18 novembre 1816, Paris, en l’église Saint-Eustache, Marie-Alexandrine Roussel (Paris 12 octobre 1793 - Paris 623 janvier 1871). Celle-ci était l’une des deux filles de Pierre Joseph Roussel et de Victoire Antoinette Delaporte.

(6) Le Revenant, volume 1, 1832.

Alexis Louis Boutron s’imposa rapidement comme un excellent chocolatier, sous le nom de « Boutron-Roussel ». Son produit phare était le chocolat au lait d’amandes, recommandé aux « tempéraments échauffés » aux « convalescences de gastrite » et aux « convalescences de maladies inflammatoires ». « Dans le moment où l’usage d’offrir des bonbons laisse souvent le désir de joindre des qualités hygiéniques aux recherches du goût, nous citerons la maison de M. Boutron-Roussel, comme offrant, dans les chocolats au lait d’amandes, tout ce qui peut réunir la suavité du goût aux qualités bien reconnues de cette heureuse composition. Dans cette même maison se trouvent aussi beaucoup d’autres choses parfaites et doublement appropriées aux circonstances. », pouvait-on lire dans la presse de l’époque (7). Et, parmi ces autres choses : le Dictamia, un « Aliment rafraîchissant pour Déjeuners et Crèmes d’Entremets », convenant « aux Convalescents, aux Enfants et aux Personnes délicates », invention brevetée résultant de sa collaboration avec un fabricant de pâtes pour potages, un certain sieur Groult, établi dans le Passage des Panoramas et rue Sainte-Apolline (8). Cette recette mettait en œuvre du sucre pulvérisé (217 g), de la fécule (125 g), de la crème d’épeautre (92 g), du cacao caraque torréfié et pulvérisé (31 g), du cacao maragnan torréfié et pulvérisé (31 g) et de la vanille pulvérisée (1 g), le tout soigneusement mélangé, de façon à obtenir une poudre servant à préparer des potages à l’eau et au lait (9). Mais comment ne pas mentionner le Chocolat Tonique au Café Moka, « aliment aussi agréable que salutaire », à la fois nutritif et tonique, préparé avec des cacaos du Mexique ? Quant à son chocolat au lait d’ânesse, breveté, il se voulait aussi léger et nutritif, en un mot salutaire pour les estomacs délicats (10)… Et, bien évidemment, on pouvait se procurer tous ces produits de la maison Boutron-Roussel grâce à des dépôts dans les principales villes françaises.

(7) Petit Courrier des Dames, 1836.

(8) L'Indépendant : ci-devant la Semaine, M. de Murville, rédacteur principal, 3 août 1838.

(9) Journal de chimie médicale, de pharmacie, et de toxicologie, Paris, 1845.

(10) Gazette des tribunaux : journal de jurisprudence et des débats judiciaires, 29 juin 1839.

Mais peu à peu, comme pour les autres chocolateries, l’aspect gourmand prit le pas. Ses chocolats à la crème et ses chocolats pralinés étaient, semble-t-il, inégalables, et la maison Boutron-Roussel — elle s’appelait toujours ainsi — faisait désormais concurrence à la célèbre maison Marquis, que fréquentait le Tout-Paris. Au moment des étrennes, suivant la mode de l’époque, le chocolatier entourait ses bonbons de chocolat, de charmantes devises ou de jolis vers de poètes contemporains (11). Ainsi en était-il dans les années 1840. Agrandis pour accueillir une clientèle toujours plus nombreuse, ses magasins ne désemplissaient pas…

(11) L'Hermès : revue de littérature et de modes, 10 décembre 1844.

Avec Boutron-Roussel se créa ainsi toute une lignée familiale de chocolatiers. En effet, son gendre Marie Louis Antoine Guérin (1814 - 1866) [12] lui succéda et, dès lors, la chocolaterie adopta le nom de Guérin-Boutron. Quand prit-il les rênes de l’entreprise ? Au cours des années 1840 (13), semble-t-il. La fabrication se faisait dans son usine à vapeur du 7 faubourg Poissonnière, non loin de son magasin du 27 boulevard Poissonnière. Le principal produit demeurait son chocolat de santé, toujours en versions « à la vanille », « sans sucre » ou « rafraîchissant au lait d’amandes ». Il occupait 35 ouvriers en 1844. Dans le Rapport du Jury Central sur les Produits de l’Agriculture et de l’Industrie Exposés en 1849 (14), on pouvait lire : « M. Guérin-Boutron est l'un de nos meilleurs fabricants de chocolats. Il emploie dans sa maison du boulevard Poissonnière une  machine à vapeur de la force de trois chevaux, et une autre de huit chevaux dans sa fabrique située rue du Faubourg-Poissonnière,  n° 7. Il produit journellement 500 à 600 kilogrammes de chocolat. Ses produits se vendent en gros à des prix très-modérés. »

La maison Guérin-Boutron & Fils remporta, pour son « Chocolat de Qualité Supérieure », maintes récompenses ; elle exposa en classe 3 dès l’Exposition Internationale de 1862, elle se vit décerner les médailles d’or aux Expositions Universelles de 1889 et 1900, à Paris. Ses magasins de détail, sis boulevard Poissonnière et rue Saint-Sulpice, proposaient son célèbre chocolat à la vanille, à 2 francs la livre, et son chocolat « Solubia », breveté, « soluble sans ébullition ». Son usine, installée aux 23-25 rue du Maroc, dans le quartier de La Villette, produisait quelque 8 000 kilogrammes par jour en 1900. Elle employait environ 280 ouvriers au début des années 1910. La firme possédait aussi une usine en Seine-et-Oise pour traiter les laits nécessaires à la fabrication du chocolat au lait (15). A cette époque, elle était gérée par Maurice Guérin-Boutron.

À partir de 1922, l’entreprise fut cotée en bourse, avec des actions de 100 francs émises au porteur. Restée aux mains de la même famille depuis ses origines, elle se transforma en 1934 en Société Nouvelle Chocolat Guérin-Boutron, dont le siège se trouvait toujours au 23 rue du Maroc et qui devait être rachetée par Félix Potin. Son matériel fut vendu en avril 1942, marquant ainsi la fin de l’entreprise.

La maison Guérin-Boutron présenta, lors de l’exposition universelle de 1889, une machine de son invention, permettant de découper les pralinés destinés à être recouverts de chocolat.

(12) Le couple Alexis Louis Boutron / Marie Alexandrine Roussel eut dix enfants. Une des filles, Victoire Marie Antoinette Boutron (Paris 16 septembre 1817 - Paris 621 février 1887) épousa son cousin germain Marie Louis Antoine Guérin (Paris 7 octobre 1814 - Paris 213 janvier 1866), fils de Barthélémy Louis Antoine Guérin (1780- Paris 76 novembre 1821), distillateur, et d’Elisabeth Emilie Boutron (Paris 21 mai 1790, baptisé à Saint-Eustache – Paris 25 avril 1839), sœur d’Alexis Louis Boutron.

(13) Annuaire général du commerce, de l'industrie, de la magistrature et de l'administration : ou almanach des 500.000 adresses de Paris, des départements et des pays étrangers, Firmin-Didot frères, Paris, 1842.

(14) Imprimerie Nationale, Paris, 1850.

(15) Le Monde Illustré, 22 avril 1916.

Le Monde illustré, 22 avril 1916

1934

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