Devinck

(France)

 

Cette firme fut créée en 1830, à Paris par l’ingénieur François-Jules Devinck (1802 - 1878), qui, parallèlement à son activité de chocolatier, fut magistrat auprès du Tribunal de Commerce de Paris, président de ce tribunal (1848), puis député (1852-1863) [1]. Elle se fit remarquer dès l'exposition des produits de l'Industrie Française, qui se tint à Paris en 1834. À l’exposition universelle de Londres, en 1862, elle confirma sa primauté au sein d’une chocolaterie française de grande qualité. « M. Devinck, qui a épuisé toute la liste des récompenses officielles, est toujours à la tête de cette importante fabrication. » (2) Sa fabrique se trouva initialement au 285 rue Saint-Honoré. Puis elle posséda une usine à vapeur au 6 rue des Haudriettes — c’est là que se faisait la fabrication et que se tenait la vente en gros.

Cette chocolaterie s’illustra par plusieurs inventions technologiques attribuées à son créateur. « On doit à M. Devinck une machine à mettre le chocolat sous une forme cylindrique et à la rendre homogène. Pour la mettre à exécution, il a fallu des vues d’ensemble très-larges et la persévérance du capitaliste qui ne se laisse pas décourager. », pouvait-on lire dans L’Année scientifique et industrielle en 1867. En fait, la plupart de ces innovations revenaient à son contremaître Armand Daupley — « praticien dans toute la force dece terme, il possède en même temps le génie de l’invention. Il est donc à la fois ingénieur distingué et ouvrier habile, deux mérites qu’on trouve rarement réunis.»,rectifie un périodique des années 1860 (3). Parmi ces créations, une machine à envelopper (4) qui remporta la Price Medal à l’exposition de Londres. Cette petite mécanique, empaquetant à la minute de vingt à trente tablettes (soit 2 000 à 3 000 par jour) dans du papier doublé d’étain, vint compléter toute une série de machines destinées à la transformé (5) : « il n’est pas un passant qui ne se soit arrêté une fois au moins devant ses vitrines, pour voir les machines ingénieusement conçues qui mélangent, broyent et remêlent la pâte de cacao. L’appareil circulaire qui pèse, moule, et étale le chocolat en tablettes, est un spécimen automatique des plus curieux», observe le même périodique (6).

             Toutefois, la réputation dont jouissait la chocolaterie ne se limitait pas à ses perfectionnements technologiques. « L’établissement de M. Devinck se distingue, en outre, par un excellent système manufacturier et commercial, poursuivi avec constance depuis vingt-sept ans. Président du tribunal de commerce, M. Devinck en a réorganisé les travaux d’après des idées plus saines et plus justes. Ses ateliers constituent une famille dont il est le chef et qu’il a toujours associée à sa fortune. » (L’Année scientifique et industrielle, 1867.)

François-Jules Devinck, gravure, Achille Louis Martinet, 1867.

(1) Émile Zola l’évoque dans Pot-bouille : « Le candidat officiel était un grand chocolatier de la rue Saint-Honoré, M. Dewinck, qu’ils plaisantèrent beaucoup. Ce M. Dewinck n’avait pas même l’appui du clergé, que ses attaches avec les Tuileries inquiétaient. » Un portrait lui est consacré par Fr. Ducuing dans Les Contemporains Célèbres illustrés (1ère série, Paris, Librairie Internationale, 1869).

(2) Annales du Conservatoire [impérial] [puis national] des arts et métiers, 1e série, tome 3, 1862, Paris, Librairie scientifique industrielle et agricole de Eugène Lacroix, 1862.

(3) Le Monde Illustré, n° 301, 17 janvier 1863. Une gravure y montre la Petite machine à envelopper le chocolat, exposée par M. Devins à l’exposition de Londres.

(4) Dans une note accompagnant son texte Le Cacao et le Chocolat (1859), le chimiste Anselme Payen mentionne l’ingéniosité de ce contremaître. Payen devait consacrer un article Aux Services éminents rendus au commerce et à l’industrie, par M. Devinck dans le Bulletin de la Société d’Encouragement pour l’Industrie Nationale, de juin 1865. Par ailleurs, les machines de Devinck avaient été précisément décrites, écorchés à l’appui, sous la plume de M. Saulnier, dans un numéro du même bulletin, d’août 1850.

(5) La chocolaterie posséda aussi une boutique de vente au détail au 76 rue Lafayette.

(6) Le Monde Illustré, 17 janvier 1863.

Politique et chocolat

 

« Il faut bien en convenir : nous sommes imbus de préjugés. Il se rencontre encore des gens de louable apparence qui n'admettent point le cumul des capacités. Vous ne leur ferez jamais croire, par exemple, qu'on puisse tenir, avec un égal succès, l'article politique pur fil et l'article cacao pur.

      M. Devinck est pourtant un exemple vivant, éloquent même à ses heures — mais il est bien occupé ! — qui prouve surabondamment que l'on peut tout à la fois broyer l'hydre de l'anarchie et les grains parfumés que nous fournit la Guyane.

          M. Devinck démontre victorieusement qu'un homme intelligent est capable de tout : non-seulement de faire de la politique — chose aisée pour tout le monde à cette heure-ci — mais même du chocolat, d'excellent chocolat.

         Il n'a manqué à Louvois, à Colbert, à Turgot, que cette science de manipulation pour qu'ils fussent des économistes et des administrateurs complets.

           M. Devinck, lui, est complet.

           Sa politique n'est pas plus mêlée que son chocolat.

           Son chocolat n'est pas plus mêlé que sa politique.

           Son chocolat est cher — parce qu'il est bon.

           Sa politique est chère aussi — je ne sais pas pourquoi.

         Mais peu m'importe ! Ce qui me rend fier d'être Français, je l'avoue, c'est que nous commençons à ressembler aux Américains. Nous admettons enfin — il n'était que temps ! — l'équivalence et, jusqu'à un certain point, l'égalité des fonctions.

        Nous reconnaissons qu'un confiseur peut gouverner la France aussi bien — et même mieux — que n'importe quel autre parvenu.

          Je fais donc des vœux — si j'ose m'exprimer si perfidement — pour le succès de l'honorable M. Devinck devant la boîte où les électeurs déposent leurs succulentes pastilles.

          Je désire tellement qu'il réussisse, que je cherche une formule à la fois brève et saisissante pour recommander cet impétrant à S. M. le Suffrage Universel. »

 

Alphonse Duchesne

dans Le Diable à Quatre, 1er mai 1869*

 

* Revue satirique hebdomadaire (samedi), composée de 64 pages avec ouverture et rédigée par H. de Villemessant,  Alphonse Duchesne, Édouard Lockroy et Méphistophélès.

Dessin de Cham, dans Le Monde Illustré, 10 juillet 1869.

À  l'exposition de Londres…

 

« Tous les Parisiens connaissent la chocolaterie de M. Devinck, rue Saint Honoré. Il n'est pas un passant qui ne se soit arrêté une fois au moins devant ses vitrines, pour voir fonctionner les machines ingénieusement conçues qui mélangent, broyent et remêlent la pâte de cacao. L'appareil cireulaire qui pèse, moule et étale le chocolat en tablettes, est un spécimen automatique des plus curieux.

                 M. Armand Daupley, l'intelligent contre-maître de M. Devinck, est l'inventeur de presque toutes ces machines. C'est un chercheur dont toutes les idées tendent au progrès de son industrie et à la prospérité de l'usine qu'il dirige. Praticien dans toute le force du terme, il possède en même temps le génie de l'invention. Il est donc à la fois ingénieur distingué et ouvrier habile, deux mérites qu'on trouve rarement réunis. La dernière œuvre de M. Daupley est la machine à envelopper. Cette petite mécanique a été une des grandes curiosités de la section française à Londres. Une foule empressée n'a cessé de l'entourer pendant les heures où elle fonctionnait.

                La machine prenait une feuille de papier et un pain de chocolat qui lui étaient présentés, et rendait, au bout de quelques secondes, le pain enveloppé et cacheté mieux que ne le ferait l'ouvrière la plus expérimentée. L'opération se faisait sous les yeux des spectateurs, mais nul ne pouvait pénétrer le secret du savant mécanisme.

                Avec le Sésame, ouvre-toi du Monde illustré, nous avons été plus favorisés que le public. Il nous a été permis d'ouvrir la porte mystérieuse et nous avons compris le miracle. Il n'y avait à l'intérieur ni magicien ni fée. Cela se passait le plus naturellement du monde. C'était de la pure mécanique. Tout reposait sur la combinaison et la perfection de la main-d'œuvre.

              Le mécanisme de la machine à envelopper a pour base un cylindre de soixante centimètres de diamètre, sur lequel sont ajustés et distancés vingt anneaux de tôle dont le bord extérieur est taillé suivant des courbes calculées et forme excentrique. Ces saillies ou cames viennent tour à tour, pendant la révolution du cylindre, soulever ou abaisser différents leviers. Ces bras transmettent à leur tour le mouvement à ce qu'on peut appeler les mains de la machine. Une double chaîne de Vaucanson, tournant sur des rouleaux, sert à entraîner les pains d'un bout à l'autre de l'appareil.

               Chaque révolution du cylindre moteur produit trente mouvements. Un paquet se fait en un tour de cylindre.

               La feuille de papier, la doublure d'étain et le pain à envelopper étant placés par une ouvrière dans un cadre disposé à cet effet, trois mouvements ont lieu : un premier qui opère une pression sur le papier, et deux autres simultanés qui redressent la tablette et la mettent dans l'axe longitudinal de la machine. Le quatrième temps amène le pain dans son enveloppe au centre de l'appareil. Deux mouvements relèvent le papier de chaque côté du pain. Quatre sont combinés de façon à former la double bande sur la tablette. Huit mouvements commencent les bouts en triangles. Huit autres ont pour mission d'appliquer à chaque extrémité une parcelle de cire en fusion, de rabattre les pointes l'une sur l'autre pour les coller et d'apposer les cachets. La cire à cacheter est contenue dans deux boîtes mobiles et maintenue liquide par un courant de vapeur. Nous avons compté vingt-six mouvements ; le vingt-septième emmène le paquet cacheté à l'extrémité de la table. Il glisse alors dans un cylindre creux où il s'empile sur un plateau formant piston à ce cylindre. Deux nouveaux mouvements successifs font, à chaque couple de pains, tourner le plateau d'un quart de tour, de façon à ce que les paquets se croisent à angle droit. Le trentième et dernier mouvement, qui n'a lieu que tous les vingt pains, a pour but d'enlever la pile hors du cylindre pour qu'on puisse l'emporter quand elle est complète.

                 Notre explication est certainement plus longue à lire que l'opération n'est longue à faire. On comprendra le merveilleux de la combinaison, la perfection et le fini de la nouvelle machine, quand nous aurons dit que le cylindre fait environ dix tours, produit trois cents mouvements et enveloppe par conséquent dix tablettes par minute.

                  Cette machine, inventée pour empaqueter du chocolat aurait son emploi dans les usines où l'on a à revêtir d'enveloppes toute espèce de marchandise solide et d'un modèle uniforme. Elle va compléter, à Paris, dans les ateliers de M. Devinck, l'élégante série des automates mécaniques qui servent à la transformation du eacao, en réalisant une grande économie de main-d'œuvre.

                 Notre voix ne pourrait rien ajouter à la haute réputation de M. Devinck. Ce n'est donc ni au grand industriel ni à l'éloquent député que s'adresseront nos éloges. Nous prendrons, à côté de cette gloire de la bourgeoisie parisienne, le nom modeste de M. Armand Daupley, qui a été médaillé déjà comme contre-maître. C'est à cet inventeur ingénieux, à ce constructeur habile, que nous rendrons une éclatante justice. La maison Devinck a vu se compléter la série des nombreuses récompenses déjà obtenues par elle : sa machine a obtenu le PriceMedalà l'Exposition internationale. »

 

Émile Bourdelin

dans Le Monde Illustré, 17 janvier 1863

Exposition de Londres, petite machine à envelopper le chocolat,

exposée par M. Devins, Le Monde Illustré, 17 janvier 1863.

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Guydo (1868-1930), Paris : G. Bataille, 1893, 132 x 95 cm.

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